Cela fait longtemps qu’une large partie de la population est exclue de certains lieux, et souvent de manière bien plus violente qu’à l’aide d’un « covid safe ticket » (CST) : discothèques, parcs publics, théâtres, bars, salles de sport, magasins, mais aussi logements, emplois ou universités ont l’habitude de fermer leurs portes à des personnes considérées comme trop pauvres, pas assez blanches, trop handicapées, pas assez normales. Il s’agit de discriminations structurelles. Habituellement on s’en émeut peu, mais l’exclusion (temporaire) de certains lieux, activités ou services, touche cette fois une plus grande diversité de groupes sociaux dont certains n’ont pas l’habitude de se voir refuser un accès quelconque [1].
Après avoir réagi trop tard, trop peu, et par la suite trop mal, à la propagation du virus, les autorités décident de rendre la vie impossible aux personnes non vaccinées sans oser une vaccination obligatoire. C’est hypocrite et inacceptable.
Le fait d’éviter les clusters est plus que bienvenue [2], mais certainement pas en excluant les uns et en scannant les autres à l’aide de QR codes [3].
Il est évident que la situation s’est améliorée depuis la vaccination, mais faire miroiter un retour à la normale (sic) grâce aux seuls vaccins amène à une illusion [4]. ainsi qu’à l’abandon d’autres gestes de précaution (aération, masque, distance, isolement temporaire) alors que ceux-ci peuvent suffire dans la période actuelle pour la majorité des situations. Concernant les situations où ils ne suffisent pas, comme les festivals ou certains concerts, ce n’est pas d’un CST inégalitaire et incohérent dont nous avons besoin mais de tests gratuits pour toutes les personnes participantes, vaccinées incluses.
QUELQUES PROPOSITIONS MODESTES FACE À LA SITUATION :
– Refuser de faire usage de son CST, même si on y a accès.
– Soutenir les lieux qui désobéissent et ne pas fréquenter les lieux qui appliquent le CST. Cela signifie de prendre nos responsabilités, sur nos lieux de travail, vis-à-vis des structures avec lesquelles on travaille ou des lieux qu’on côtoie, d’identifier leurs freins à désobéir au CST (comme les justifications de subsides ou les amendes) et de tenter de les dépasser ensemble [5].
– Dans l’idéal, chaque lieu proposerait son propre protocole sanitaire, en cohérence avec sa réalité de terrain et celles de ses publics, plutôt que de subir des normes hors sol édictées d’en haut et de l’extérieur. Une bibliothèque n’est pas un bar, un théâtre n’est pas une salle de concert, une salle de concert n’en est pas une autre, etc.
– Élargir les marges. De nombreux lieux et événements auto-organisés réfléchissent collectivement, inventent et appliquent déjà leurs propres règles sans se plier aux normes des autorités. Nous aurons de plus en plus besoin de ce genre de lieux et espaces-temps, défendons-les et créons-en d’autres.
– Dans tous nos lieux, autonomes ou institutionnalisés : demandons-nous qui nous excluons de fait par nos pratiques : par exemple les personnes qui ne peuvent pas se permettre de contracter le sars-cov-2.
– Concernant les vaccins, parler entre nous de nos doutes sans nous caricaturer mutuellement, refuser qu’on nous oppose sur cette base. Se soutenir dans la charge psychologique de nos choix, et dans nos changements de décisions ou de visions.Informer plutôt que culpabiliser ou infantiliser, et rendre la vaccination encore plus accessible. Rejoindre les luttes en cours pour la levée des brevets, pour l’accès aux vaccins par les régions et populations les plus pauvres du monde qui le désirent et pour l’expropriation des firmes pharmaceutiques – ainsi que des laboratoires privés qui facturent les tests.
– Refuser de s’allier à des collectifs qui nient ou minimisent volontairement le problème et les défis que pose la propagation du virus, qui diffusent de fausses informations ou qui comparent la situation actuelle à ce qu’ont vécu les victimes de l’apartheid ou de la shoah. Informer le public et s’opposer lorsqu’ils s’allient eux-mêmes à l’extrême-droite.
Demandons-nous dans quel monde et dans quelle ville nous voulons vivre, fait de quel quotidien, de quels rapports à l’espace, au temps et à nos corps. Observons qui est exclu de quoi, bien au-delà d’un CST, et solidarisons-nous en conséquence.
NOTES
[1] La Région wallone a décidé d’imposer l’usage d’un CST (termes choisis par le gouvernement belge, souvent malnommé « pass sanitaire » termes choisis par le gouvernement français) à partir du 15 octobre. Si on laisse faire cela, il faudra prouver numériquement être immunisé, testé ou vacciné pour avoir accès à l’horeca (sauf en terrasse), les discothèques, spectacles, centres sportifs (sauf à l’extérieur et à moins de 200 personnes), hôpitaux, maisons de repos, et « événements festifs ». Il deviendrait obligatoire de manière générale à partir de 50 personnes et 200 en extérieur. Les détails, dont les éventuelles sanctions, se trouveront dans le décret qui doit bientôt être voté au Parlement wallon, après avoir reçu les avis du Conseil d’État et de l’Autorité de Protection des Données. Il serait d’application jusque fin de l’année sauf si la situation sanitaire s’améliore. Les bourgmestres peuvent prendre des mesures « plus restrictives » mais pas moins.↩
[2] La propagation et les hospitalisations ont très fortement diminué depuis le début de la campagne de vaccination, mais malheureusement celles-ci sont reparties à la hausse à Liège et à Bruxelles, régions les moins vaccinées, et de manière plus générale parce que les autres précautions ont été plus ou moins abandonnées. De plus, les mutations du virus n’ont pas été suffisament évitées. Il n’y a jamais eu de stratégie de la part des autorités pour éteindre ce virus, ce qui aurait dû être fait au tout début.↩
[3] Au-delà du fait qu’il est inacceptable de numériser encore plus les déplacements et activités de la population avec les scans, que ce soit en papier ou sur smartphone, le code source de l’application « CovidSafeBE » n’est évidemment pas en open source ce qui signifie qu’on ne peut pas savoir ce qu’elle fait et on ne sait toujours pas non plus ce qui sera fait de ce « big data ». À nouveau, d’autres évolutions numériques peuvent sembler bien plus problématiques que ce CST mais dont on s’émeut peu : empreintes digitales sur nos cartes d’identité, arrivée des caméras à reconnaissance faciale, banalisation des compteurs électriques « intelligents », etc.↩
[4] Puisqu’ils ont laissé l’épidémie se déclarer et ensuite se développer, la vaccination est devenue une solution nécessaire, mais insuffisante et insatisfaisante. Si on veut réellement lutter contre les épidémies, il nous faut laisser de la place au reste du vivant, protéger et régénérer la biodiversité ; réinvestir dans la surveillance épidémiologique pour éviter qu’on laisse les étincelles se transformer en foyers ; réagir plus vite lorsqu’un foyer se déclare malgré tout, plutôt que de laisser le business as usual être prioritaire (voyages internationaux, échanges commerciaux, etc.) ; réinvestir, et pas qu’en argent, la santé publique et développer une logique de santé globale.↩
[5] Cela ne signifie pas de les lyncher publiquement, certains lieux ayant moins de marge de manoeuvre pour désobéir que d’autres le soutien peut prendre d’autres formes que la fréquentation avec CST (financier, logistique, politique, …).↩
Des participant.es du Front Antifasciste de Liège 2.0