Le 2 mai, la chambre a adopté à 68 voix contre 11 (et 44 abstentions) le « projet de loi relative aux compétences des membres du corps européen de garde-frontières et de garde-côtes sur le territoire national » [1], autrement dit le projet de loi sur le déploiement de Frontex en Belgique.
Ce nouveau vote de la honte intervient dans une (longue) séquence de fascisation des esprits et des politiques en Belgique. La « loi retour » en est une autre illustration : cette autre loi priorise l’expulsion à tout prix, intensifie les pratiques « volontaires » ou contraintes, renforce et élargit les « expulseurs » (d’où la présence d’agents Frontex en Belgique) et multiplie les moyens à cette fin.
La nouvelle « loi Frontex » implique concrètement que les agents de cette police européenne des frontières, connue pour de nombreux faits de violences extrêmes contre les personnes migrantes (tirs à balles réelles, enfermement dans des cages, attaques d’embarcations en pleine mer, etc.) [2], seront désormais déployés sur le territoire belge pour appliquer les politiques migratoires de Schengen : l’arrestation, l’enfermement et la déportation de personnes étrangères depuis le territoire belge.
Parmi ceux qui ont voté pour, on retrouve tous les partis de la majorité gouvernementale :
– Les partis de droite bien entendu : le MR, l’Open Vld et le CD&V qui, pour ces derniers, portaient le projet de loi par la voix de leur sinistre de l’Intérieur Annelies Verlinden.
Le timing de ce projet de loi, à peine plus d’un mois avant les élections, n’est bien entendu pas innocent puisque la défense d’une politique d’asile et de migration toujours plus violente et restrictive est un des principaux chevaux de bataille de ces partis extrême-droitisés.
– Mais aussi les partis qui se disent de gauche : Le PS, le SP.a, Ecolo et Groen.
Si le vote des partis de droite, qui flirtent de plus en plus avec les discours et mesures d’extrême droite, n’est pas une surprise et mérite d’être vilipendé tout comme l’essentiel de leurs programmes, on ne pourra toutefois pas s’empêcher de s’attarder sur le choix des partis « de gauche » de voter une loi aussi immonde.
Selon le PS et Ecolo « cela faisait partie de l’accord de gouvernement ». Le fait d’avoir déjà acté cette victoire à la droite raciste auparavant rendrait-il sa mise en œuvre moins problématique aujourd’hui ? Va-t-on encore assister à une démonstration marketing selon laquelle vendre un peu plus de droits humains fondamentaux des personnes migrantes à la droite nous permettrait de gagner un peu d’autre chose ailleurs ? C’est ça le projet politique que ces gauches proposent ? Leur horizon politique ? Leur manière de lutter contre l’extrême droite ?
À nouveau, selon ces partis, ils auraient été rassurés par la présence de « balises » dans le projet de la loi. À savoir : la limitation des contrôles et des arrestations par les agents de Frontex aux « frontières extérieures » (de l’espace Schengen) – les aéroports, les ports, les terminaux internationaux hors-Schengen des gares (telle que la gare de Bruxelles Midi) – et l’intervention de ces agents Frontex uniquement sous le « contrôle » et à la « demande » de policiers nationaux. Car, comme on le sait, lorsqu’il s’agit de contrôler des personnes d’origine étrangère, primo-arrivantes ou non, la police belge est un gage de respect de l’Etat de droit et de justice pour ces personnes…
Les député·es liégeois·es de « gauche » qui ont voté pour la loi Frontex sont Julie Chanson d’Ecolo ainsi que Christophe Lacroix et Sophie Thémont du PS. Quelques député·es liégeois·es de la majorité ont toutefois décidé de s’abstenir ou d’être absent·es lors du vote : Sarah Schlitz et Samuel Cogolati pour Ecolo, Malik Ben Achour, Chanelle Bonaventure et Hervé Rigot pour le PS. Aucun·e n’a voté contre.
« Limiter les dégâts » ne suffit pas lorsqu’on en vient à voter ou accepter des mesures d’extrême droite. Et ce ne sont malheureusement pas les premières : expulsions illégales, refus illégal de loger des personnes réfugiées, sabotage de squats avec des familles dedans et répression policière déshumanisante, construction de nouveaux centres fermés, embauche de « coachs retours » pour pousser les personnes aux retours « volontaires », usage de la contrainte physique légalisée pour les contrôles médicaux, nouvelles limitations pour les regroupements familiaux, etc.
Pour ce qui est des autres partis, dans l’opposition :
– Défi et le PTB sont les seuls qui ont unanimement voté contre le projet de loi.
– Les Engagés se sont abstenus, sans doute à cause des asymétries en leur sein sur les questions migratoires, à l’exception de la liégeoise Vanessa Matz qui a voté contre.
– Quant à l’extrême-droite, elle a décidé de s’abstenir et ce dans une visée aussi électoraliste que la droite « traditionnelle » qui fait son lit. La N-VA et le Vlaams Belang tiennent bien entendu à maintenir leur image d’intransigeants xénophobes, plus racistes que les racistes, au gouvernement. Théo Francken (ex-secrétaire d’état à l’asile et la migration, N-VA) a d’ailleurs tenté de faire passer plusieurs amendements pour durcir encore cette loi.
On se souviendra que durant les débats en commission, le Vlaams belang avait souligné que, selon eux, la loi était « bonne » mais « arrivait bien trop tard ». Les fascistes peuvent remercier les partis de la majorité d’avoir enfin fait advenir leurs vœux…
Tous les partis qui ont voté pour cette loi sont à critiquer, mais ces partis de gauche ont encore une fois déroulé le tapis rouge à l’extrême droite en appliquant une partie de son programme sans même avoir besoin de ses votes.
Au-delà de ces partis, c’est « toute » la gauche qui est responsable de laisser faire cette extrême-droitisation de la société, et spécifiquement des politiques migratoires. Ce nouveau vote en dit beaucoup sur le contexte politique dans lequel nous naviguons actuellement, qui est un processus long et vis-à-vis duquel les gauches sont censées proposer mieux.
#lahonte
#abolishfrontex
Infos à suivre : https://abolishfrontex.org / https://www.facebook.com/Abolish-Frontex / https://www.instagram.com/abolishfrontex
[1] https://www.lachambre.be/kvvcr/showpage.cfm?section=/none&leftmenu=no&language=fr&cfm=/site/wwwcfm/flwb/flwbn.cfm?lang=F&legislat=55&dossierID=3954
123 député·es sur 150 étaient présent·es au moment du vote.
[2] L’agence Frontex est aussi connue pour avoir été dirigée par l’actuel candidat n°3 du Rassemblement National aux élections européennes, qui fait l’objet d’une plainte pour complicité de crimes contre l’humanité et complicité de torture.