#3 Interview : foot, boycott et antifascisme. Interview de Dialectik Football.

[FAL] : En quelques mots, pouvez-vous vous présenter ainsi que votre initiative ?

Yann Dey-Helle, animateur du site Dialectik Football qui existe depuis fin 2018. Des luttes des ultras à l’alternative portée par les clubs directement gérés par leurs supporters, Dialectik Football participe à relayer la critique sous toutes ses formes du football moderne. Comme il est écrit dans la présentation du projet: « Nous sommes persuadés qu’un autre football est possible, si on s’attaque au système économique qui le porte. »

[FAL] : Que pensez-vous des initiatives publiques ou privées qui condamnent la coupe du monde au Qatar et la Fifa ? Y a-t-il une différence quand c’est Cantonna ou, par exemple, la Ville de Tubize qui appelle au boycott ?

Elles sont, d’une certaine manière, logiques même si à quelques semaines du début du Mondial au Qatar elles sont plus symboliques qu’autre chose. Les révélations du Guardian sur les 6500 ouvriers immigrés morts sur les chantiers de construction des stades ont sûrement convaincus une partie des indécis. Après, on voit aussi que les angles de rejet de l’événement sont multiples : forts soupçons de corruption, aberration écologique, non respect des droits des femmes, des personnes homosexuelles et des travailleurs migrants…

D’ex-footballeurs comme Lahm ou Cantona ont pris publiquement position contre ce Mondial et plusieurs municipalités belges ont pris la décision de ne pas organiser de festivités. En France, Strasbourg leur a emboîté le pas. On peut partir du principe que toute prise de parole contre ce Mondial est salutaire, mais concernant les politiciens locaux il ne faut pas négliger l’objectif principal qui semble être de faire des économies d’énergie, non sans se donner bonne conscience au passage. Il y a bien sûr un tri à faire parmi les critiques qui fleurissent ça et là. Dans tout ça, il est important de dénoncer les discours hypocrites qui laissent penser que les démocraties capitalistes valent mieux que le Qatar pour organiser ce type d’événements. Comme si elles étaient irréprochables en matière de respect des droits! Le problème n’est pas tant le Qatar que la FIFA. C’est elle qui attribue l’organisation des Coupes du Monde. Bien sûr qu’il est inconcevable de soutenir le Mondial qatari au vu de ce que l’on sait, mais tout autant que les précédents.

Dans un contexte différent, l’organisation du Mondial 2014 au Brésil avait rencontré une forte opposition dans la rue, marquée par le contraste entre les dépenses folles qui avaient servi à organiser l’événement et les difficultés d’une population obligée de se serrer toujours plus la ceinture. Les nombreuses manifestations, derrière le slogan « FIFA Go home ! « , visaient alors la bonne cible.

Graff anti-FIFA sur le squat du TALP à Liège

[FAL] :    Si le boycott des autorités publiques continuent et s’intensifient, qu’est-ce qui pourrait remplacer, dans le monde du foot ou non, ces moments de liesses populaires dans l’espace public ? Faut-il remplacer ces moments par autre chose ?

Sans susciter d’engouement débordant, la Coupe du Monde 2022 aura bien lieu et la question qui se pose aujourd’hui est plutôt celle d’un éventuel boycott du public. A Dialectik Football, on n’est pas les mieux placés pour répondre à la question. Sans en faire des caisses, on n’est pas fan des liesses populaires qui accompagnent les succès des équipes nationales, qui sont l’expression d’un « patriotisme festif ». On est personne pour dire aux gens quoi faire à la place. Ceci dit, je distingue les mesures prises par certaines mairies d’un boycott populaire qui, s’il se produisait, aurait tout intérêt à ne pas être subi ou passif. Il faudrait lui donner un contenu collectif. Pourquoi ne pas occuper justement l’espace public au moment des matchs afin de faire de cette Coupe du Monde un moment de contestation? Ça pourrait être l’occasion de mettre en débat la question du football qu’on veut. Il nous appartient de faire de cette Coupe du Monde le point de part d’un mouvement de réappropriation de ce football confisqué par les instances dirigeantes, FIFA en tête, obsédées par la commercialisation des compétitions et les profits qui en découlent.

Retournons un instant la situation. Pourquoi le refus de cette farce capitaliste qu’est la Coupe du Monde ne pourrait pas tout aussi bien donner lieu à une fête populaire? On peut toujours rêver ^^

[FAL] :  De plus en plus souvent le monde du football est soumis à des critiques. Par exemple, on critique le salaire des joueurs de foot ou encore récemment la séquence au PSG sur l’écologie entre MBappé et son entraineur Christophe Galtier. On parle plus rarement des sponsors et des multinationales que sont les organisateurs des grands tournois.

En tant que fan de foot qu’en pensez-vous ? Le football business peut-il changer ? Si oui, par quels cotés et par quels moyens ? Si non, que peut-on opposer comme autre modèle de football ?

Déjà loin d’être hégémonique, la critique du « foot business », comme on dit, se borne souvent à une critique de ses différents symptômes comme les salaires des joueurs, les droits télé faramineux, les ravages des enseignes de paris sportifs ou encore la répression des ultras. C’est déjà un pas important et ça donne des armes indispensables aux fans pour se réapproprier leur sport.

Le foot business peut-il changer ? Certains, ne faisant pas autre chose que réchauffer la vieille soupe keynésienne, avancent l’idée d’une « régulation » avec un plafonnement des salaires voire une taxe sur les transactions. Mais le modèle économique du football n’est que le produit du système capitaliste. Il semble illusoire de prétendre transformer le football business, au sens de le libérer de ses tares mercantiles et sécuritaires, sans s’attaquer franchement à ce système global dans lequel il évolue. Ça ne signifie pas pour autant que rien n’est possible en dehors de ça. Encore à la marge, les initiatives de clubs alternatifs ou d’actionnariat populaire prennent de plus en plus de poids. Gérés directement et de façon horizontale par leurs membres, ce sont des exemples concrets d’opposition au foot business. Ces différents clubs fonctionnant sur le modèle démocratique « un membre = une voix », comme le CF Unionistas de Salamanca en Espagne ou le célèbre FC United of Manchester, prouvent à leur manière qu’un autre football est possible.

On peut aussi citer le mouvement du calcio popolare en Italie qui regroupe plusieurs dizaines d’équipes. Mais, quelque soit le pays, aucun de ces clubs n’évoluent dans l’élite professionnelle. Ce qui laisse penser qu’il existe un plafond de verre qui est principalement budgétaire. Celui qui est le plus près de réaliser cet exploit est le PAC Omonia à Chypre, créé en 2018 à l’initiative des ultras de l’AC Omonia mécontents du rachat de leur club par un homme d’affaire. Le PAC Omonia évolue aujourd’hui en 2e division.

[FAL] : L’antifascisme dans les stades se développent de plus en plus tout autant que son opposé puisque certains groupes d’extrême-droite se développent également chez les ultra de certains clubs. Peux-tu nous parler un peu des liens entre football et antifascisme ?

Rien de nouveau sous le soleil, j’ai envie de vous dire. On peut dire que le fascisme et les dictatures ont toujours chercher à instrumentaliser le football. L’Italie de Mussolini avait donné le la. Ça ne signifie pas pour autant que l’intégralité des acteurs du calcio adhérait aux idéaux fascistes. Lors de la saison 1936/37, la Lucchese, entraînée par Egri Erbstein, comptait dans son effectif pas de cinq joueurs connus pour leur hostilité au régime. De Bebel Garcia à Spiros Kontoulis, en passant par Rino Della Negra, plusieurs footballeurs ont aussi payé de leur vie leur engagement contre la vermine nazi-fasciste.

Plus tard, en Amérique du Sud, le combat mené par Carlos Caszely contre la dictature de Pinochet ou celui de la « Démocratie Corinthiane » au Brésil avec Socrates, Wladimir et Casagrande, ont marqué l’Histoire. Enfin… peut-être pas suffisamment quand on voit le nombre hallucinant de stars du foot brésilien, dont Felipe Melo, Lucas Moura, Neymar ou Rivaldo, qui ont apporté leur soutien à Bolsonaro lors de son élection en 2018.

Aujourd’hui, devant la montée en puissance un peu partout des partis d’extrême-droite, sous couvert ou non de « dédiabolisation », il est heureux que dans les tribunes certains groupes assurent une présence antifasciste. La France n’est pas le pays le plus représentatif de la politisation des tribunes, où les ultras de Grenoble, Bordeaux et surtout du Red Star se démarquent par leurs positions antifascistes assumées. C’est aussi en partie le cas à Marseille. En Allemagne, les groupes de fans ont un peu moins de retenue quand il s’agit d’afficher des messages favorables à l’accueil des migrants et hostiles à l’Europe forteresse, ou encore en soutien au Rojava. A Glasgow, la Green Brigade se voit régulièrement sanctionnée pour ses messages à caractère politique:  antifascistes, pro-palestiniens, en soutien aux grèves, pro-IRA ou, plus récemment, anti-monarchistes.

[FAL] : Pourriez-vous nous parler d’UN moment d’engagement dans le foot qui vous a marqué, que ce soit dans l’histoire ou que vous avez vécu ?

En garder un seul est un exercice compliqué. A choisir, je retiendrais pour son exemplarité l’implication des barras bravas dans la révolte sociale qui avait éclaté en octobre 2019 au Chili. Les différents groupes de supporters ont mis leur rivalité de côté pour se jeter à corps perdu dans la bataille sociale. Comme certaines grèves ouvrières bloquent les machines, les barras chiliennes bloquaient les championnats professionnels répétant que tant que les revendications populaires ne seraient pas satisfaites, il n’y aurait pas de reprise du football.

Certains groupes avaient même appelé publiquement à se mettre en grève et à ériger des barricades dans la rue. Fans ou amateurs de football, beaucoup d’entre nous n’en restent pas moins des exploités pris dans des problématiques quotidiennes liées au durcissement des conditions de vie que nous impose les classes dominantes. La capacité des barras bravas à utiliser le blocage de la reprise du championnat comme un moyen de pression, dans le rapport de force avec le gouvernement Piñera et ses alliés les dirigeants des clubs, a été admirable.