À propos du confusionnisme à la belge : le cas de Michel Weber

Le travail de Michel Weber, formé en philosophie, spécialisé sur la philosophie d’Alfred North Whitehead et auteur de l’ouvrage auto-édité Covid 19(84), La vérité (politique) du mensonge sanitaire : un fascisme numérique, illustre une tendance de la gauche francophone à s’abandonner à un certain confusionnisme, peut-être jugé par certain.e.s comme plus « intellectuel » – bien qu’il n’en soit rien, comme la suite du texte le démontrera. Il nous semblait important, en tant que Front Antifasciste, d’expliquer la logique à l’oeuvre derrière les « théories » de Michel Weber afin de les déconstruire.

Bien que la plupart des « entrepreneurs de complot » se trouvent en France – ce qui s’explique entre autres par le fait que la plus grande partie de la production écrite francophone vienne de l’hexagone – la Belgique compte également ses opportunistes, n’hésitant pas à surfer sur l’actualité afin de mettre du beurre dans leurs épinards.
C’est le cas de Michel Weber et de son ouvrage Covid 19(84). Dans un ouvrage à l’écriture alambiquée, Weber nous livre une lecture curieuse de la séquence pandémique.
Derrière une rhétorique se voulant de gauche et prétextant une attention aux destructions écologiques en cours (l’auteur fait partie de la mouvance décroissante), se cachent des thèses farfelues, fausses et dangereuses. On oscille entre de la démagogie, du confusionnisme et du conspirationnaisme.

De façon plus ou moins affichée, et bien que certains passages de l’ouvrage lus trop rapidement pourraient faire penser le contraire, Weber nie la réalité de la pandémie, déclarant par exemple que les test PCR, ayant été commercialisés par un laboratoire pharmaceutique, ne permettraient pas de différencier une infection au Covid-19 d’une grippe saisonnière (Weber, 2020, p6). On ne saurait en effet pas de « quoi on parle », les symptômes du Covid étant les mêmes que ceux de la grippe (p214). En effet, l’OMS « crée littéralement la pandémie, et l’hystérie mondiale qui en a suivi » (p14)[1], par un simple effet d’annonce autoréalisateur. 
Une sombre idéologie se mettrait en place, le « pandémisme » (p15)[2], et cela car des plans de gestions de crises pandémiques seraient prévus depuis plusieurs années. En effet, le Covid serait tout simplement « le plus grand crime contre l’Humanité jamais perpétré » (p217), le masque n’étant d’ailleurs qu’un moyen de « museler » et de « terroriser » le citoyen (p218)… 
Il est important de rappeler que la maladie de Covid-19 a probablement été l’une des maladies les plus étudiées par la communauté scientifique mondiale, et que son génome est parfaitement connu et bien distingué de celui des grippes saisonnières.

Weber déclare également, et ce sur base d’un prétendu bon sens, qu’ « un virus ne peut jamais être à la fois très dangereux et très contagieux. » (p7). Il faudra attendre une dizaine de pages pour avoir une explication de cette déclaration pour le moins surprenante, Weber avançant que « si l’hôte meurt foudroyé, la contamination est endiguée » (p21)… Il n’est pas besoin de souligner qu’une personne peut être contagieuse sans mourir, ou avant de mourir si elle décède de l’infection, et que ce raisonnement est tout simplement absurde… 

Selon notre auteur, la science (comme entité existant en soi, non pas comme pratique socialement incarnée) serait au service du capitalisme (p8), la gestion de la crise du Covid relèverait d’une triple corruption : politique, médiatique et scientifique (p9). L’aspect sanitaire serait un prétexte pour des intentions cachées, car aucune « mesur[e] liberticid[e] n’est fondée scientifiquement » (ibid.). Il nous faut ici souligner qu’il va de soi que l’existence d’un « corps scientifique » unique est en elle-même infondée : rassembler des personnes extrêmement disparates, aux opinions, formations et occupations forts différentes, sous le simple prétexte qu’elles soient affiliées à l’une ou l’autre institution de recherche (que ce soit une université, un centre de recherche ou un laboratoire) n’a tout simplement pas de sens. Entre le professeur de management promouvant le néolibéralisme et le sociologue critique de la société de consommation, il n’y a en commun que l’institution pour laquelle ils travaillent. Institution, qui, quand on parle de recherche publique [3], est en définitive l’État. Si l’on suit la logique de Weber, l’ensemble des fonctionnaires seraient à la solde du capitalisme… après tout, ils et elles travaillent tou.te.s pour le même employeur…
Il est intéressant de noter que Weber dira exactement l’inverse quelques chapitres plus loin : les climatologues, eux, qui sont aussi des scientifiques, « ne trouvent rien à redire sur la question politique [du réchauffement climatique] elle-même : le scientifique, on s’en souvient [sic], ne parle que de faits scientifiques et préfère d’ailleurs n’en parler qu’entre scientifiques. » (p78). Nous ne sommes assurément plus à une contradiction ou erreur près… [4]

Se mettrait donc en place un « totalitarisme sanitaire fasciste et numérique » dans lequel l’ensemble des facettes de la vie des citoyen.nes seraient contrôlées par l’État [5]. Bien que le confinement – dans la manière dont il a été mis en place – ait eu d’évidents effets néfastes sur nos corps ainsi que sur le contrôle social, il est douteux que cette définition totalisante lui soit  applicable, mais c’est pourtant la base argumentative de Michel Weber. Il est évident que ces allégations n’ont aucun fondement, et qu’aucune source fiable n’est jamais donnée comme base aux énoncés avancés.
Nous vivrions actuellement la mort de la démocratie représentative (p9). Un des éléments explicatifs de l’ampleur de la crise n’est autre que le fait que les dirigeant.e.s soient des « pervers » (p12) [6], manipulateurs tirant plaisir des souffrances d’autrui. Pourquoi proposer une lecture réaliste (et donc complexe) des rapports sociaux quand un schème simpliste permet de tout expliquer ?… En effet, l’explication est simple pour Weber : les « oligarques » gouvernent « par la guerre, le complot et la torture. » (p103)  
Cette dictature [sic] se serait révélée par une « politique ambidextre » (p21), en créant à la fois le virus et le vaccin. Le raisonnement de Weber, simpliste et fallacieux, pourrait s’énoncer comme suit : le sens commun doit suffire pour gouverner en démocratie. Or en s’en remet aux experts. Donc nous ne sommes plus en démocratie… (p25-26). Voilà l’explication du totalitarisme. Il ne nous semble pas pertinent que les réels totalitarismes, bien existants, se définissent par d’autres critères : absence de liberté de la presse, emprisonnement des opposant.e.s politiques, interdiction des syndicats et organes de contre-pouvoir… rien de tout cela n’a pu être observé dans nos contrées durant la pandémie. Le sens des mots est important, surtout s’ils sont aussi idéologiquement et historiquement chargés que des termes comme « dictature », ou encore « liberté »…

Weber propose également une lecture délirante du 11 septembre – évènement clé pour le complotisme contemporain – qui verrait le règne du conformisme et de l’individualisme atteindre leurs paroxysmes. Cet évènement offrirait « deux exemples complémentaires d’injonction psychologique» : on reconnaîtrait la « démolition contrôlée » des bâtiments mais on exigerait de nous qu’on l’ignore, et on hallucinerait ce qui ne serait pas présent dans la vidéo (p96-97)… à la lecture de l’ouvrage, on se demande plus d’une fois de quoi parle l’auteur, et surtout quels sont les liens logiques entre ses énoncés. Nous sommes plus devant une suite de déclarations que d’arguments, déclarations jouant sur les lieux communs du conspirationnisme pour satisfaire l’attente d’un public potentiel relativement déjà acquis au type d’argumentaire… Tout le monde peut y trouver ce qu’il veut entendre.
Weber pousse ce qu’il serait probablement convenu d’appeler un « délire », au sens clinique du terme, en avançant que si l’on n’accepte pas la lecture « officielle » du 11 septembre, on risque « [l’] ostracisme, [et une] « évaporation » à Guantanamo ou ailleurs » (p99). Arrivés à ce stade, pour un auteur se prétendant thérapeute, le meilleur conseil que nous pourrions lui donner est de suivre une psychothérapie… 

Weber parle du caractère totalitaire de la numérisation de l’ensemble de la vie, ce qui n’est pas faux en soi et représente un réel danger à combattre, mais cette numérisation était en train de  se mettre en place bien avant la pandémie et celle-ci n’a été qu’une occasion de plus pour le pouvoir d’accélérer cette tendance. Toutefois, cela ne change en rien le fait que les allégations portées par Weber sur le plan sanitaire sont au mieux infondées, au pire volontairement populiste.

Weber parle également de la 5G – qui représente sans doute possible une catastrophe écologique – mais en portant des allégations délirantes sur elle, car, selon certains [sic], les « nuisances sanitaires [sic] expliquent la naissance et la propagation de l’épidémie en faisant remarquer que l’électropropagation [c’est-à-dire la 5G] est susceptible d’affaiblir significativement les défenses immunitaires. Peut être. » (p137). A ce stade, on comprend pourquoi Weber a choisi de s’auto-éditer, aucune maison d’édition dotée d’une comité de lecture n’aurait acceptée ce genre de désinformation.

La confusion que Weber fait sur le fascisme est préjudiciable au réel combat antifasciste : il n’y a pas un mot sur la montée des extrêmes droites dans son livre… 
Bien que cet auteur puisse être mis en avant par des médias francophones dit « alternatifs » – comme Kairos – et invité par certains groupes se prétendant « de gauche », il faut souligner que son discours est non seulement nauséabond, faux et insensé, mais qu’il est aussi et surtout dangereux, car en essayant de flatter un public de gauche avec des termes propres au champ sémantique de l’anticapitalisme et de l’écologie, il participe de la confusion grandissante entre les combats urgents et légitimes – contre les dérives autoritaires des états bien réelles, de la fascisation ambiante, etc. – et les dérives confusionnistes, comme la négation de la réalité pandémique et de la dangerosité supposée de certaines technologies de soin comme les vaccins.

Ne nous trompons pas d’ennemi, ne nous laissons pas distraire par des opportunistes, restons solidaires et uni.e.s. Nous vivons un moment charnière du capitalisme, et plus que jamais nous devons avoir conscience que l’avenir sera soit plus juste et égalitaire, soit obscur et répressif.

Des participant·es du Front Antifasciste de Liège 2.0

NOTES

[1] Italique dans le texte. Il parlera aussi de la « vraie-fausse pandémie » à la page 42…

[2] On voit l’important travail conceptuel fournit par l’auteur afin de problématiser ses concepts…

[3] En Belgique, les membres du GEMS et (l’ancien GEES) – certes critiquables sur leurs compositions – sont tout.e.s issues d’universités publiques, ce qui n’a pas été le cas dans tous les pays. Weber déclare sans ambage que la gestion politique de la crise aurait été « abandonnée aux universitaires » qui n’auraient pas d’objectivité, car payés par les multinationales (p. 25). Deux remarques s’imposent : la première est que les scientifiques ont fourni des données scientifiques aux politiques qui ont eux, pris les décisions, et la seconde est qu’encore une fois, Weber ne donne aucune source… Puisque la vérité n’a pas de valeur, pourquoi s’embarrasser avec le réel ?

[4] L’auteur aura également cette déclaration surprenante – une de plus – sinon malsaine : « D’entrée de jeu la science a été définie comme étant pilotée par la finance. Attendu qu’il n’est pas impossible de concevoir une nouvelle direction, on peut, pour la forme, préserver la neutralité axiologique putative de la science. » (p. 155).

[5] Selon l’auteur, les relations sexuelles seront d’ailleurs bientôt interdites (p. 47).

[6] Nous ne résistons pas à citer le passage suivant, représentatif de l’ouvrage par son style allusif et démagogique : ce monde serait « la victoire définitive des pervers [où] la seule jouissance [serait celle] de la souffrance imposée à autrui – petitement, sur le mode de la dénonciation du voisin indiscipliné […] grandement par la nécessité de la torture et de la vaporisation des opposants. » (p. 13). Cela se passe, encore une fois, de commentaire…