Le 16 mai 2018 la police belge tuait une petite fille de 4 ans sur les routes de la migration.
Ce 4 avril 2024, six ans plus tard, une soirée était organisée au CPCR pour revenir sur cette affaire, en présence de l’auteur-illustrateur Manu Scordia [1] et de l’avocat Robin Bronlet. La bande dessinée « Mawda : autopsie d’un crime d’État » retrace rigoureusement les différentes étapes de cet événement tragique, ses causes et ce qu’il s’en est suivi. On ne peut que la conseiller tellement le travail fournit est de qualité. Un travail de mémoire et d’analyse salutaire.
Un travail de mémoire et d’analyse salutaire.
C’est une nouvelle occasion pour nous de revenir sur cette triste affaire, comme nous l’avions déjà fait en 2020 après une conférence organisée par la LDH à l’Université de Liège, en présence du journaliste d’investigation Michel Bouffioux et de l’avocate Selma Benkhelifa.
Le cadre de ce meurtre policier
Le meurtre de la petite Mawda Shawri, en présence de son frère et de ses deux parents, s’est déroulé dans le cadre de « l’opération Médusa ». Cette opération, lancée par le ministre de l’intérieur de l’époque Jan Jambon (N-VA), consiste à arrêter à tout prix les personnes migrantes. Et ce prix est parfois la mort… La plupart des victimes de ces opérations de chasse aux migrant·es sont d’ailleurs inconnues car non médiatisées.
L’opération Médusa, responsable de la mort de Mawda, est toujours en cours et le procès des véritables responsables de sa mort (les politiques qui promeuvent la chasse aux migrant·es) n’a pas eu lieu. Ils sont toujours là et ils sont occupés à empirer la politique migratoire belge et européenne.
Les faits, les faits, encore les faits
Ce soir-là, les policiers ont donné une première version aux ambulanciers. Selon eux, la petite serait tombée de la camionnette. Ensuite, ils ont prétendu qu’il y avait eu des échanges de tirs avec la camionnette. Enfin, ils ont prétendu que les personnes migrantes avaient utilisé la petite fille comme bouclier humain et qu’elles auraient casser une vitre du véhicule avec son crâne. Le procès verbal des policiers est donc un faux. Et pourtant…
Pourtant, le parquet va systématiquement relayer ces versions mensongères (ainsi que la presse) et il ne va jamais exiger des policiers qu’ils s’expliquent sur leurs mensonges. L’impunité n’a pas de limites.
Le procès verbal des policiers est donc un faux. Et pourtant le parquet va systématiquement relayer ces versions mensongères (ainsi que la presse) et il ne va jamais exiger des policiers qu’ils s’expliquent sur leurs mensonges.
Comme Manu Scordia le souligne, le fait que des milliers de personnes aient pu (décider) de gober des versions pareilles en dit long sur le racisme généralisé. Et ce cas illustre bien la connivence entre police, justice et médias lorsqu’ils construisent ensemble l’impunité policière. On retrouve ces mécanismes dans presque chacune des « affaires » de meurtres policiers.
À la page 162 l’auteur résume ces mécanismes qui se répètent systématiquement avec les mots suivants : « On aurait tort de réduire tout cela à un cas particulier ou à des individus spécifiques qui auraient été incompétents ou animés de mauvaises intentions. Il importe de comprendre que ces mécanismes qui fabriquent l’impunité des crimes policiers relèvent d’un fonctionnement qui fait système. Tentatives d’étouffer le crime, fausses versions des faits, criminalisation des victimes, complaisance judiciaire puis finalement impunité de l’auteur du crime. On retrouve ces mécanismes de manière systématique chaque fois qu’a lieu un décès provoqué par un ou des policiers.«
La police est raciste
Ce ne sont pas des dysfonctionnements, cela fonctionne très bien pour le système actuel, qui est notamment basé sur le racisme structurel et institutionnel. Ce n’est pas un problème de bons ou de mauvais policiers, on ne peut pas être un bon policier. Quand on est un « bon policier » on est mis de côté, on est raillé, ridiculisé, voire harcelé. Le collègue du tireur lui avait dit de ne pas tirer. La loi ne permet pas à un policier de sortir son arme pour des personnes migrantes parce qu’elles fuient, encore moins de charger cette arme, et encore moins de tirer avec. Pourtant c’est ce qu’il s’est passé. Pourtant beaucoup d’autres personnes migrantes, ou simplement racisées, se font tuer par la police en Belgique.
Ce n’est pas un problème de bons ou de mauvais policiers, on ne peut pas être un bon policier.
C’est le cadre institutionnel qui permet et qui provoque cela. Le racisme est induit dans les missions que l’ont donne à la police, il est induit dans les politiques migratoires et il est induit dans les discours politiques et médiatiques de plus en plus racistes. Enfin, c’est l’impunité, y compris lorsque un policier dépasse la loi, qui permet et encourage cela.
Le policier tireur, qui exigait l’acquittement, c’est-à-dire qui estimait qu’une faute n’avait pas été commise, a finalement été condamné à 10 mois de prison avec sursis. Cela n’a été possible qu’après d’inombrables batailles et des procédures inimagineables (du traitement indigne des parents le soir-même, à l’accès au corps de leur fille, en passant par leur non autorisation de séjour ou encore les intimidations et les battons dans les roues). L’indignité n’a pas de limite lorsqu’on laisse faire l’État à sa guise. Heureusement des bénévoles et des avocat·es ont soutenu la famille. Le chauffeur de la camionnette, lui, a été condamné à 5 ans de prison ferme.
Des rapports de police ont reconnu que puisqu’en Belgique les institutions ont décidé de focaliser sur le fait de harceler les personnes migrantes amène à ce que rien de sérieux ne soit mis en place pour lutter contre les réseaux de traite d’êtres humain·es. L’hypocrisie n’a pas de limite non plus. Pour rappel, c’est à cette période que la N-VA était au gouvernement. C’était aussi un gouvernement qui expulsait des personnes après avoir reçu des décisions de justice lui interdisant de le faire. Imaginez avec un gouvernement encore plus à droite et à l’extrême-droite…
C’est à cette période que la N-VA était au gouvernement. C’était aussi un gouvernement qui expulsait des personnes après avoir reçu des décisions de justice lui interdisant de le faire.
Personne n’est illégal, le gouvernement est illégal.
Pas de paix sans justice.
[1] Qui a aussi publié les bandes dessinées « Ali Aarrass » (2019) et « Le Rouleau compresseur – Chronique d’un racisme institutionnel » (2023).
Pour les personnes qui ont raté cette soirée de présentation de la bande dessinée, et surtout des réalités qu’elle dénonce, vous pouvez regarder cette autre conférence de l’auteur sur Paroles d’Honneur :