Ce que la démission de Sarah Schlitz raconte sur l’extrême-droite, les partis et l’hypocrisie en politique

Nous sommes nombreux-ses au sein du Front Antifasciste de Liège à nourrir une colère à l’encontre de la Vivaldi, notamment en raison des derniers accords du gouvernement sur le non-accueil des personnes demandeuses d’asile. Nous l’avons d’ailleurs fait savoir lors de la marche contre le centre fermé de Vottem du dimanche 16 avril, et à de nombreuses autres occasions par le passé. Les membres  d’Ecolo et du PS auraient dû démissionner à ce moment-là, si ce n’est avant, mais malheureusement c’est à partir d’une histoire de logos montée en épingle par l’extrême droite et suivie par les autres partis qu’une de leurs membres les plus progressistes vient de démissionner. Dans la foulée, cette même extrême-droite (Sander Loones de la N-VA), annonce qu’à son sens la secrétaire d’état à l’égalité des chances, des genres et à la diversité n’a pas besoin d’être remplacée : au-delà d’un respect des règles, c’est bien une compétence, l’égalité, qui était visée.

Si nous critiquons les partis « de gauche » et leurs élu-es, parties prenantes de la coalition Vivaldi ou non, il s’agit pour nous de désaccords politiques profonds, et c’est à ce titre que nous exprimons réserves, critiques ou désaccords francs et ouverts. Nous soutenons que tous les partis dits « traditionnels » contribuent à l’extrême-droitisation de notre société en rendant possible l’exercice d’une violence sociale qui est de nature à légitimer le discours et le projet de l’extrême-droite. 

Il n’est bien entendu pas surprenant que la N-VA tente de pousser à la démission une secrétaire d’État qu’elle considère comme « trop féministe », « trop progressiste » à son goût, et qu’elle procède en instrumentalisant des faits périphériques. Cette stratégie n’a rien d’inédit, rappelons-nous le battage autour de la nomination d’une femme portant le foulard au sein du même cabinet en 2021 ou des jugements excessifs faits autour de sa participation à une balade liégeoise en non mixité qui avait lieu depuis des années. Nous dénonçons évidemment cette stratégie, et à défaut de soutenir la secrétaire d’état et membre d’Ecolo, nous soutenons la personne qui subit un dénigrement et un harcèlement sexiste, initié par l’extrême-droite, et entretenu par d’autres qui s’empressent, pour diverses raisons, de se joindre à la meute. 

Nous pourrions nous contenter, comme d’autres l’ont fait, de dénoncer un double standard -qui amènerait toutefois un angle trop restrictif – , en rappelant que l’ancienne secrétaire d’état à l’égalité des chances Zuhal Demir (N-VA) avait elle aussi utilisé son logo personnel pour des projets subsidiés, ou que l’ancien ministre des finances du gouvernement Michel Johan Van Overtveldt (N-VA lui aussi) avait fait joindre un tract à propos du tax-shift lors de l’envoi des déclarations d’impôts. Nous pourrions souligner, comme d’autres l’ont fait, que Théo Francken (N-VA) ne s’était pas excusé pendant le scandale de la fraude aux visas humanitaires, à propos duquel il avait menti, et qu’aucune de ces trois personnes n’a du démissionner. Nous pourrions comparer également le point de départ de cette situation, des logos, avec les 8000 condamnations de ce gouvernement pour non respect de l’état de droit en matière d’asile, sans que ça ne semble offusquer qui que ce soit au sein de ce même gouvernement.

Mais ce n’est pas l’angle sous lequel nous voulons analyser cette affaire, qui n’a, encore une fois, rien d’inédit. 

Tandis que les autres partis ont sauté à pieds joints dans cette séquence imposée par la N-VA, remuant ciel et terre pour trancher le cas de Sarah Schlitz qui serait une priorité absolue, nous préférons profiter du cas d’école que constitue ce lamentable et hypocrite scandale pour mettre en lumière une différence fondamentale qui existe entre les partis dits « traditionnels » et les partis d’extrême-droite. 

Car, au fond, à quoi assistons-nous en ce moment ? 

Les partis démocrates « respectables » se sont empressés de mettre de l’ordre dans leurs affaires, de faire intervenir telle commission ou telle instance de contrôle pour statuer sur le sort de la secrétaire d’état, suite à la prise de parole d’un député qui attaque une ennemie politique sur le plan légal, réglementaire et éthique, avec pour aboutissement la démission de l’intéressée. Il attaque en allégeant des motifs politique, mais réalise cette attaque sous couvert de motifs règlementaires.

Se contenter de souligner le double-standard revient à retourner l’attaque sur le même plan légal, réglementaire et éthique. Un terrain sur lequel l’extrême-droite se fiche éperdument de gagner. 

L’extrême-droite se fiche de gagner sur ce terrain, parce que les victoires morales ou de principe ne l’intéressent pas. Au bout du compte, tout ce qui lui importe est la conquête du pouvoir, la mise en œuvre de son projet odieux, et tant pis pour la probité. L’obsession (à géométrie variable) des partis traditionnels pour le bon respect des règles du « jeu démocratique », et une certaine conception de l’éthique en politique (elle aussi à géométrie variable), les empêchent de combattre l’extrême-droite sur le terrain qui importe : celui de la lutte contre son projet, son organisation et sa structuration concrète d’une part, et contre les causes de leur développement d’autre part – comme lorsque ses idées s’insinuent et infusent dans d’autres familles politiques qui appliquent, à sa place, politiques anti-sociales, discriminatoires, sécuritaires, etc.

Autrement dit, nous mettons ici le doigt sur la différence fondamentale entre l’extrême-droite et les partis traditionnels dans leur rapport au cadre de la démocratie libérale : pendant que les premiers se fichent éperdument du cadre, et ne l’invoquent qu’à des fins stratégiques, les seconds en font un élément central de leur position, voire même en font une priorité sur la défense d’idées, de mesures concrètes ou de politiques générales. 

L’extrême-droite est pleinement consciente de cette disparité et l’exploite pour arriver à ses fins. 

Accuser ses ennemis de ne pas respecter les règles du jeu politique fait partie de son arsenal de base. Le résultat de cette stratégie est double : l’extrême-droite obtient ce qu’elle veut (nous le constatons en ce moment même avec la démission de la secrétaire d’état), tandis que les partis traditionnels se félicitent d’avoir bien respecté les règles.

Pour le dire autrement, à l’issue d’une séquence telle que celle-ci, l’extrême-droite obtient une victoire politique, pendant que les autres partis doivent se contenter d’une victoire morale. 

Et les victoires morales ne nous sauveront pas. Car lorsque l’enjeu est celui de l’accueil, de la justice sociale, de la lutte contre les discriminations, de la démilitarisation des forces d’état et de l’élargissement de la démocratie en particulier économique et sociale, une victoire morale n’est pas une victoire. 

Qu’auraient pu faire Ecolo et ses allié-es ?

On peut déplorer qu’Ecolo et ses prétendus allié-es de la Vivaldi se soient emparé.e.s de cette question dès lors que la N-VA l’a mise sur la table. Ce faisant, alors que les discussions allaient bon train sur ce qu’il devait advenir de la secrétaire d’état, les vraies questions – comme par exemple celle des suppléments de pension injustifiables touchés par les membres des différents partis, ce qui était le véritable « scandale » avant ce « logogate » (1) hypocrite – brillaient par leur absence. 

S’il est compréhensible que des partis qui font campagne sur l’éthique en politique et se prévalent d’une certaine probité soient sensibles à ces questions, il s’agit de faire la part des choses. Est-il bien pertinent de s’embarquer dans ce genre de polémique quand la position de l’accusateur est occupée par l’extrême-droite la moins soucieuse des règles et des bons usages ?

Il aurait été plus souhaitable qu’Ecolo et ses prétendus allié-es refusent de s’engouffrer dans la brèche ouverte par la N-VA, en qualifiant cette offensive pour ce qu’elle est véritablement : une campagne de dénigrement et de harcèlement sexiste et anti-féministe, un stratagème grossier et indigne. Et de réserver la mobilisation de leur arsenal juridique et réglementaire à une hypothétique accusation du même ordre, qui émanerait, elle, d’une formation qui s’en soucie réellement. 

Nous le répétons : nous critiquons vivement les positions d’Ecolo et du PS au sein de la coalition Vivaldi, nous considérons iniques de nombreuses mesures prises par cette coalition, et questionnons la posture de ces partis revendiqués « de gauche » dans ce gouvernement. 

Ce que nous soutenons en revanche, c’est l’idée qu’à rester bloqué-es sur des considérations d’ordre légal ou éthique, les partis traditionnels font fausse route en ce début informel de campagne électorale dont les enjeux sont colossaux, compte tenu des urgences sociale et écologique, de la place occupée en Flandre par l’extrême-droite, des tentatives de percées de l’extrême-droite wallonne, et de l’extrême-droitisation des politiques publiques qui est en cours depuis de nombreuses années. 

Une fois de plus, l’extrême droite a délimité le terrain de jeu, et tout le monde a participé sans dépasser la ligne. Dans ce jeu, la NV-A se renforce en se payant la tête d’une secrétaire d’état à un an des élections, et rentre avec, en bonus non négligeable, la légitimité d’une image lissée et nettoyée par ses opposants eux-mêmes.  (2)

Dans la lutte contre l’extrême-droite, le bon respect de la loi et des règles ne sera jamais suffisant. Seul le rapport de force et le refus de jouer le jeu permettra à leurs idées de reculer. 

Des participant-es du FAL 2.0

(1) Expression reprise à l’asbl Garance dans sa réponse au député N-VA Sander Loones : https://www.facebook.com/100063629768112/posts/pfbid02h1rXQ7uC1aBGayHaHnf3brXaEXiuSCo921ae5MHxbdy2aYBab3MaR5Ef1BDQ5e5al

(2) Il ne faut pas confondre NVA avec nazisme mais il faut pas non plus nettoyer l’image de ce parti en feignant d’oublier les liens concrets qui existent entre cette formation politique et le nazisme. Ses fondateurs sont issus de la Volkunie, parti collaborationniste, et ses cadres actuels ne cachent pas vraiment leur nostalgie. Que ce soit sa proximité avec des groupes néofascistes, la présence assumée de Théo Francken à l’anniversaire du collaborateur Bob Maes, Brecht Arnaert faisant une conférence autour du livre « Mon temps au Front de l’Est » de Oswald van Ooteghem organisée  par le KVHV, Jan Jambon allant pousser la chansonnette dans des chorales reprenant des hymnes nazis ou encore la « Ruche » du nom de ce monument d’hommage aux nazis Lettons dans la commune de Zedelgem, etc.

Crédit photo Méjdane Flament.