Le meurtre d’un policier érigé en symbole politique
11 novembre 2022 : un policier est tué à Bruxelles, un de ses collègues est blessé. L’auteur des faits avait demandé une prise en charge psychologique, après avoir indiqué ses intentions de s’en prendre physiquement à des policier.e.s. Rien n’a été fait, son maintien en liberté ayant été justifié par une interprétation stricte de la « procédure Nixon », la loi de mise sous protection des personnes souffrant de maladies mentales.
A la suite de cet événement, le syndicaliste Eric Labourdette du SLFP (Syndicat libre de la Fonction Publique) déclare dans un communiqué de presse :
Au mois d’août, le SLFP a interpellé le Ministre-Président sur la situation d’insécurité dans le quartier « nord » de Bruxelles. Rien n’a changé que du contraire, la situation s’est aggravée car la zone semble avoir été désertée par les pouvoirs publics. Les agressions commises sont de plus en plus nombreuses. De la gare du nord à la station Yser c’est un quartier insalubre et agressif. Ce quartier est un univers hallucinant de déchéance humaine où semble régner l’impunité la plus totale. Les déchets, l’urine et les excréments humains jonchent le sol. (…) Chaque jour, ce quartier est envahi par des toxicomanes qui fument du crack au vu de tous, des groupes d’hommes agressifs clients de prostitution (les femmes subissent donc un harcèlement sexuel constant en rue), des mendiants, des SDF, des demandeurs d’asile, des sans-papiers, bref ce quartier est une jungle.
Le soir de l’événement, RTL titre : « Policier tué à Schaarbeek : les policiers de plus en plus visés », et avance que le dernier attentat date de « quelques mois». Il a en réalité eu lieu il y a quatre ans. Un « fait similaire » d’agression de policiers est également évoqué sur RTL. Il a eu quant à lui lieu en 2012. Carlo Medo, président national du syndicat de police NSPV s’insurge :
Nous exigeons enfin des mesures décentes. Nous ne pouvons vraiment pas vivre maintenant avec ce qui se passe dans ce pays ces dernières années : la violence contre la police atteint des niveaux sans précédent. Il faut vraiment que cela cesse. (…) Si notre ministre de la Justice est menacé, un demi peloton est prêt. Et à juste titre (…) Mais qui se tient aux côtés de nos policiers lorsque des violences insensées sont commises?
Les syndicats policiers demandent la démission du Ministre de la Justice. Ils appellent à une « manifestation nationale contre les violences faites aux policiers » le 28 novembre. Dans la foulée, les policiers rendent un hommage à leur collègue et se rassemblent, en uniforme, devant le Palais de Justice, en lui tournant le dos.
12 novembre 2022 : l’ensemble des instances concernées nient leurs responsabilités dans la non-prévention de l’événement. La responsabilité de l’hôpital est évoquée, aux côtés de celle des magistrat.e.s et de la police elle-même. Le quartier « Nord », autour de la rue d’Aershot à Bruxelles, est fermé ; un couvre-feu d’une à six heures du matin est décrété pour un mois.
14 novembre 2022 : la police manifeste, demandant des comptes aux « responsables ». Le CGSP Police déclare :
L’ensemble des policiers demande aujourd’hui des comptes au pouvoir politique et judiciaire.
On voit des pancartes où il est inscrit : « Le laxisme de la Justice tue ». La Ministre de l’Intérieur, Annelies Verlinden, a adressé la veille une lettre à la famille Montjoie, mais aussi à la police. Elle y qualifie les policier.e.s de « héros », ajoutant :
Vous êtes là pour nous, pour protéger la société. Mais à l’inverse aussi, la société doit vous protéger et vous protégera également. On ne touche pas à nos policiers. Nous sommes de votre côté.
15 novembre 2022 : la police manifeste lors du Te Deum de la fête du roi, et fait montre d’égards à la famille royale. Les syndicats policiers affirment ne plus avoir confiance dans le Ministre de la Justice. On voit des pancartes où il est écrit « Vivaldi=beau parleur », « Vivaldi=pas de respect pour la police » ou encore « Vivaldi=déloyal ».
17 novembre 2022 : des demandeuses et demandeurs d’asile sont victimes de violences policières au centre d’enregistrement de Pachéco à Bruxelles, unique point d’enregistrement belge. Alors que ces personnes en demande d’asile sont massé.e.s à l’entrée du centre, des policiers arrivent. L’un d’eux martèle :
Tout le monde décale. Tout le monde recule. Reculeeez! Dégageez! Putain bougez ou je frappe! Bouge! Dégage! Recule!
Un autre policier saisit par le col un demandeur d’asile remontant un escalator. Un troisième policier le pousse, lui assène un coup à la tête avant de le projeter contre une barrière Nadar. Un autre policier profère ensuite « sale(s) chien(s)! ». Les policiers referment le volet permettant d’accéder au centre. Le Bourgmestre de la ville de Bruxelles Philippe Close apporte son soutien aux policier.e.s, qui ont, selon lui, tout fait pour « sécuriser les lieux ». La porte-parole de la zone Bruxelles-Ixelles ne réagit pas à la demande d’interview de la presse.
22 novembre 2022 : le Conseil Supérieur de la Justice annonce mener une enquête sur l’affaire Montjoie, onze jours après les faits. La Commission parlementaire sur le passé colonial belge appelle le Parlement à condamner le régime colonial, et à présenter des excuses.
27 novembre 2022 : suite à la victoire du Maroc à la Coupe du Monde de football au Qatar, des émeutes éclatent à Bruxelles et à Droixhe, à Liège. Quelques 150 jeunes, probablement âgés de 14 à 18 ans, lancent des projectiles artisanaux envers les policier.e.s et le mobilier urbain. Les actions policières qui y répondent sont dignes d’un « siège », selon des journalistes. La porte-parole de la police bruxelloise justifie ces actions par la blessure au visage d’un journaliste, causée par des feux d’artifices. Le Ministre de la Justice précise que la « tolérance zéro » pour les violences policières sera étendue aux faits de rébellion.
28 novembre 2022 : les syndicats policiers rendent le gouvernement bruxellois responsable des émeutes de la veille. Eddy Quaino, du CGSP Police, déclare :
Au lieu de la fête, on a vu des crapules qui n’étaient là que pour casser et chercher la confrontation avec la police.
La police demande une « tolérance zéro » face à ces actions.
La manifestation annoncée le 11 novembre a lieu. 10 000 policier.e.s y participent. Belga titre « Dix mille policiers font trembler Bruxelles » et écrit en incipit : « La police est en colère. Elle dénonce ce qu’elle considère comme des promesses non-tenues et un manque de respect de la part du gouvernement fédéral, tant en matière de financement que d’application de sanctions pour les violences à son égard ». L’agence de presse précise : « Certains vestiges du rassemblement de la veille contre les violences faites aux femmes ont par ailleurs été moyennement appréciés. Une affiche portant le message « Police sexiste, Etat patriarcal » a ainsi été rageusement arrachée et laissée en pièces sur le trottoir ». Des pétards sont allumés tout au long du parcours de la manifestation, au point de faire trembler les vitres de commerçant.e.s visiblement inquiet.e.s, certain.e.s décidant de clore leur établissement. Les policier.e.s s’arrêtent devant le siège de l’Open VLD, parti du Premier Ministre belge. Ils ont pour destination le Palais de Justice, et entendent dénoncer l’absence d’application d’une circulaire visant à sanctionner plus durement les auteurs de violence à l’égard des policier.e.s. Le parking sous-terrain de la place Polaert est longuement enfumé. La démonstration de force est faite pour impressionner. Le Vlaams Belang était ostensiblement présent à la manifestation, suscitant des réactions mitigées.
29 novembre 2022 : l’Etat belge est assigné par l’association Défense des Enfants International, qui le juge responsable de la mort de Mawda, « conséquence de sa politique de chasse aux migrants ». L’opération policière Médusa et ses méthodes sont pointées du doigt. Pas de réaction du Ministre de la Justice ou de l’Intérieur.
1e décembre 2022 : des avocat.e.s dénoncent le non-respect des droits des demandeurs d’asile à être hébergés, et ce en dépit du fait que l’Etat Belge et Fedasil ont été condamnés plus de 7000 fois par la Justice.
3 décembre 2022 : le Ministre de la Justice dépose un projet de loi visant la mise en place d’une procédure accélérée pour juger des faits de violence, suite aux émeutes après la victoire de l’équipe du Maroc. La loi équivaut à l’inscription d’un droit préventif dans le droit commun, qui criminalise des intentions et non des actes, alors que seuls ces derniers sont les objets du droit pénal.
12 décembre 2022 : les policier.e.s entament une grève de PV. Ils et elles disent protester contre les termes de l’accord interprofessionnel.
13 décembre 2022 : plus de 30 policier.e.s du commissariat du quartier Nord à Schaerbeek – celui où un couvre-feu a été imposé – sont en arrêt maladie, après un incident avec un mineur. L’opération ne fait aucun blessé. Thierry Belin, président du syndicat policier SNPS réitère son discours avançant que « travailler dans ces conditions n’est pas tenable », et évoque un « ras-le-bol ».
18 décembre 2022 : la « crise de l’accueil » explose. Plus de mille personnes sont à la rue à Bruxelles. Aucune mesure n’est mise en place par Nicole de Moor, la secrétaire d’Etat à la Migration, malgré les craintes du secteur associatif sur les conditions de santé des personnes concernées. Elle ne veut pas rendre le pays plus « attractif » pour les réfugié.e.s. et refuse de prendre des mesures urgentes, alors que le secteur associatif craint un prochain décès.
19 décembre 2022 : les Pays-Bas présentent des excuses pour leur passé esclavagiste. Le Premier Ministre Mark Rutte déclare :
Pendant des siècles, l’État néerlandais et ses représentants ont permis, encouragé, maintenu et profité de l’esclavage. Pendant des siècles, des gens ont été traités en marchandises, exploités et maltraités au nom de l’État néerlandais (…). Il est vrai que personne vivant aujourd’hui n’est responsable de l’esclavage à titre personnel, mais il est tout aussi vrai que l’État néerlandais, dans toutes ses manifestations historiques, porte la responsabilité des grandes souffrances que les personnes réduites à l’esclavage et leurs descendants ont subies.
La Commission Décolonisation en Belgique, échoue, quant à elle à trouver un accord. La question des excuses n’ayant pu faire consensus, plusieurs partis ont tout simplement quitté la session, empêchant la réunion d’un quorum suffisant pour procéder au vote. Une loi introduite par la Ministre de l’Intérieur est actée. Elle fait passer les SAC (« sanctions administratives communales ») de 350 à 500 euros. Les agents communaux pourront avoir accès aux banques de données policières, ce qui permettra, selon la Ministre, des « gains d’efficacité ». Les villes et communes pourront ainsi développer « leurs propres politiques locales de sécurité ». La Secrétaire d’Etat à la Migration, suite au rapport de force mis en place par les associations de défense des droits humains, dit vouloir débloquer cinq cents places pour des demandeurs d’asiles, face à de possibles morts dans les rues de Bruxelles durant les fêtes de fin d’année. Les campagnes électorales de 2024 commencent informellement lors de la période. Le Président du Mouvement Réformateur, sur la question des violences policières, affirme que :
La peur doit changer de camp. (…) la magistrature ne doit quand même pas éluder sa responsabilité.
Il insiste sur le fait que la séparation des pouvoirs ne se « transforme pas en irresponsabilité ».
20 décembre 2022 : nouvelle manifestation du front commun des syndicats policiers. Objectif : protester contre le report de l’entrée en vigueur de l’accord sectoriel négocié avec l’Intérieur. Les syndicats policiers évoquent le « manque de respect » du gouvernement fédéral envers la police, ou du « manque de respect de la part de la population ». Un représentant policier déclare :
C’est-à-dire que chaque fois que nous intervenons on subit des violences, on nous empêche de faire notre métier, et là ça n’est plus acceptable.
La manifestation se tient notamment rue de la Loi, une zone neutre où il est interdit de manifester. Les syndicats policiers indiquent qu’ils « feront du zèle » dans le contrôle des aéroports de Bruxelles et Charleroi afin de dénoncer le retard dans la mise en place de l’accord salarial. Aucun média ne parle de « prise en otage » des voyageuses et voyageurs.
22 décembre 2022 : le Parquet de Bruxelles ouvre une enquête sur un cas de violence policière suite aux faits survenus après le match France-Maroc. C’est le deuxième cas de violence policière rapporté par la presse belge en quelques jours.
23 décembre 2022 : le Ministre de la Justice annonce vouloir donner la possibilité aux juges de condamner les « casseurs » à trois ans d’interdiction de manifester, avec des poursuites pénales en cas de non respect de l’interdiction. Il faut marquer les esprits : encas de récidive d’un « casseur », l’interdiction de manifester s’étendra sur six ans. Le non-respect de l’injonction serait lui passible de 1000 à 5000 euros d’amende. Une note fuite de l’Intranet de la Chambre. Elle porte sur la proposition de loi modifiant la loi communale en vigueur sur la liberté de manifester voulue par la Ministre de l’Intérieur. La Ministre veut inscrire l’interdiction communale de manifester dans la BNG (la Banque de données nationale générale de la police), afin de permettre à tout policier de la consulter lors d’une arrestation ou d’un contrôle. Le but est de permettre des arrestations préventives : si la personne est « suspecte », elle peut être arrêtée. Or, la note de la Chambre qualifie la proposition de loi d’ »anticonstitutionnelle ». La note d’avis initial a disparu le jour même de l’Intranet de la Chambre pour être remplacée par une note succincte ne faisant plus mention d’interdiction individuelle de manifester.
24 décembre 2022 : en ce jour de Noël, une personne décède au « Palais des Droits », lieu où ont trouvé refuge les demandeuses et demandeurs d’asiles à Schaerbeek. Un Tunisien est mort, victime d’overdose médicamenteuse. Les conditions de vie provoquent une insécurité permanente, notamment du fait que le lieu accueille des publics précarisés différents, avec des besoins non concordants. Certain.e.s préfèrent quitter le lieu pour trouver d’autres endroits d’hébergement plutôt que d’y rester. Des maladies infectieuses, comme la gale et la diphtérie, qui avaient disparu de Belgique, y ont été constatées par les organisations humanitaires. Une personne a été retrouvée gravement blessée devant le lieu, victime d’une attaque au couteau.
28 décembre 2022 : tensions gouvernementales autour de la Commission Décolonisation. Le « bloc conservateur » (libéraux et extrême-droite) ne veut pas que le gouvernement profère d’excuses, qu’il considère comme « excessives ». Le « bloc progressiste » (écologistes, socialistes, une partie du PTB) demande, lui, l’expression d’excuses claires sur le passé colonial belge. Suite à un accident, une personne migrante meurt à Zeebruges.
31 décembre 2022 : comme chaque année, des émeutes émaillent les célébrations des festivités à Bruxelles. Des pompier.e.s et ambulancier.e.s sont visé.e.s. Les syndicats de pompiers indiquent à la presse que ces évènements ne sont ni nouveaux ni propres à la Belgique, les incidents de 2022 ayant été selon eux moins importants que ceux des années précédentes. Les syndicats policiers demandent eux une « tolérance zéro » face aux violences envers les policiers. La Ministre de l’Intérieur soutient publiquement leurs revendications. Vincent Gilles, président du SPLF police, déclare à la presse :
C’est ce qui démontre que la Justice et les magistrats doivent se remettre en question. Il y a quelque chose qui ne va plus au Royaume de Belgique.