Documentaire d’Investigation (RTBF) : « Vlaams Belang: de la victoire à la menace »

Le nouveau magazine « Investigation » de la RTBF s’est penché sur le Vlaams Belang dans un reportage (« De la victoire à la menace ») que nous recommandons vivement. Il nous semble important d’en souligner ici les aspects positifs, mais aussi les manques, dans une perspective de lutte antifasciste.

Vlaams Belang : de la victoire à la menace

Les aspects positifs

Le reportage, conçu pour un public non averti, est intéressant en ce qu’il démontre que si une partie de l’habillage du VB a changé et se veut en apparence plus présentable, il s’agit dans les faits d’un vernis qui se craquèle très rapidement. Comme le dit de manière limpide Philippe Dewinter (figure historique du VB) : « l’emballage a changé, mais le fond reste le même ». Ainsi le profil des jeunes du parti n’est pas inédit. L’exemple de Van Grieken qui milite depuis des années et dont le père est un policier militant historique du Blok est à cet égard représentatif. Cet accent mis sur l’aspect jeunes n’est pas une réelle nouveauté. Dewinter était le Van Grieken de l’époque. On disait déjà alors qu’il changeait l’image du parti d’extrême droite car jeune et en costume cravate. 

Le rôle des cercles étudiants nationalistes en Flandre (le KVHV en tête) n’est pas nouveau non plus, le reportage le mentionne d’ailleurs. Sur un autre plan, les séquences à Alost et avec les identitaires français à Lille montrent bien que le discours et le fond politiques sont ceux habituels de l’extrême droite. Ou encore le passage soulignant l’incompatibilité entre la Déclaration des droits humains et 44 points du programme (officiel) du parti. Au rayon « rien de nouveau » : la présence de Luc Vermeulen et du Voorpost (milice fasciste nostalgique du régime nazi) est très illustrative. C’était déjà l’objet de séquences entières dans les reportages de Defossé il y a 30 ans.

Un détail qui est loin d’en être un, surtout que le reportage souligne l’importance donnée par le parti à l’image et le soucis de contrôler celle-ci. Non pas le badge antisémite distribué à Alost, mais la cravate de Van Grieken aux voeux du parti sur laquelle l’interroge le journaliste. Couleur proche de celle du Vlaams Blok, ancien nom du Vlaams Belang, et surtout tête de mort avec os croisés. Soit à notre sens un lien évident avec la Totenkopf (insigne de la SS et de leurs unités « têtes de mort »), voire plus grave avec ce que l’on retrouvait sur les boites de Zyklon B. Occasion de rappeler que la tête de lion stylisée utilisée par le VB pour son logo est la même que celle du berkenkruis, le magazine des anciens SS flamands du front de l’Est… Et, non, le hasard n’a pas sa place ici.

Enfin, le documentaire rappelle quelques informations encore connues par trop peu de monde. Par exemple :    
– Les liens organiques entre NVa et VB, bien au-delà des transfuges dans les deux sens, comme les filiations entre KVHV et Tom Van Grieken, Dries Van Langenhove, Bart de Wever, mais aussi Theo Francken et Jan Jambon qu’ils oublient de citer.   
– Les risques réels de tueries d’extrême-droite en Belgique, facilitées par les discours de haine et la désinformation de groupes comme Schild & Vrienden, le VB, etc. Près de 3 000 personnes sont actuellement reprises dans les fichiers de la police pour « leur appartenance à la mouvance d’extrême droite radicale » (dont une trentaine dans les fichiers de l’OCAM), qui a trop longtemps sous-estimé ce phénomène.   
– Le fait que la page facebook du parti comptabilise plus de 550 000 followers (contre 160 000 pour l’Open VLD et 60 000 pour le PS, par exemple) alors que les médias de masse flamands VTM et VRT comptabilise chacun moins de 400 000 followers. Depuis les élections, le parti a dépensé plus de 600 000 euros en publicité rien que sur facebook (sans compter ses pages connexes, dont celle de Tom Van Grieken pour laquelle plus de 400 000 euros ont déjà été dépensés). À titre de comparaison, tous les partis francophones confondus ont dépensé ensemble moins de 250 000 euros sur la même période. La majorité de cet argent provient de nos impôts, à travers la dotation aux partis, mais le VB menait campagne sur les réseaux dits sociaux bien avant ces dernières élections. Rappelons-nous que lorsqu’il a, avec ses compagnons de route, fait descendre 5 000 personnes d’extrême droite dans les rues de Bruxelles en décembre 2018 (« Mars tegen Marrakesh »), sur base d’une fake news, près de 50 000 personnes s’étaient dites intéressées sur l’événement facebook et donc au moins dix fois plus avaient été touchées par sa publicité.   
– Le fait que le VB utilise le même logiciel américain (« Nation Builder ») qui a permis à Trump et Macron de se faire élire.   
– Etc.

Les manques

Au final, pour celles et ceux qui s’intéressent à l’extrême droite, le reportage n’apprend finalement rien de nouveau sur ce qu’est l’extrême droite en Flandre, ses réseaux, sa composition militante (à différencier d’un potentiel électorat qui est beaucoup plus large) : blanche, non populaire, séparatiste, catholique, sexiste… Mais des aspects intéressants ne sont pas creusés. Une des explications étant que le documentaire a fait le choix de se limiter à ce que le parti veut bien montrer et dire publiquement : réponses des jeunes cadres “radicaux” (sic) à une interview plutôt que discussions informelles ; programme officiel plutôt que projet de société réel ; pages publiques sur les réseaux dits sociaux plutôt que forums privés ; etc. Il s’agit donc plus d’un travail d’information que d’investigation, comme on en retrouve partiellement dans les documentaires de la VRT sur Schild & Vrienden ou d’Al Jazeera sur Génération Identitiaire (qui, eux-mêmes, ne montrent qu’une petite partie de la réalité). Il est d’ailleurs inquiétant de voir à quel point les autorités (policières et institutionnelles) feignent découvrir le problème à chaque sortie de ce type de documentaire. Or, l’extrême droite ment toujours, avance masquée puisqu’elle a besoin d’une adhésion plus large dans la société avant de pouvoir passer à l’étape suivante. En attendant de pouvoir montrer son vrai visage, elle ironise, minimise et ment à son électorat.

Qui est vraiment Schild en Vrienden ?

Pour la version française : https://p.eertu.be/videos/watch/07059f4d-8f40-4997-9b4f-ccace1fa712f

Generation Hate

Si le travail de terrain (envers les jeunes, sur les marchés, par des actions…) effectué par le VB pour s’ancrer dans le réel, en s’appuyant sur le virtuel, est montré il aurait été intéressant de souligner les thèmes sociaux mis en avant lors des dernières élections et de mettre cela en contradiction avec la réalité bien montrée dans le reportage, leur bord politique anti-ouvrier ou encore leurs votes antisociaux dans les parlements où ils siègent.

Il aurait également été intéressant d’analyser les raisons de ce succès électoral et médiatique. Une de ces raisons est la banalisation des idées d’extrême droite, qui dépasse de loin le VB. Lorsque le journaliste fait un rapprochement entre attentats et « crise migratoire » (plutôt que crise de l’accueil), il semble qu’il ne se rende même plus compte qu’il relaie ainsi l’imaginaire porté par l’extrême droite, qui a réussi à imposer peu à peu son champ lexical et sa lecture tronquée de la situation. Vouloir (re)diaboliser la partie la plus visible de l’extrême droite ne suffira pas, il faut déconstruire son discours partout où il se manifeste, y compris chez les partis traditionnels ou les médias eux-mêmes. À ce propos, le documentaire n’a certes pas brisé le cordon sanitaire médiatique mais il n’a pas non plus fait un travail de déconstruction suffisant. Par exemple, lorsque le journaliste discute avec Dries Van Langenhove et son homologue français Aurélien Verhassel dans le fameux bar « La Citadelle » à Lille, il les taxe de complotistes lorsque ceux-ci parlent de « l’establishment » à leur manière simpliste et manipulatoire (et de leur position d’enfants de la bourgeoisie de plus en plus proches du pouvoir, toutes institutions confondues). On voit mal en quoi l’antifascisme marque des points plutôt que d’en perdre dans cette scène. Les propos tenus par ces deux leaders d’extrême droite sont de plus en plus populaires et les diaboliser sans les décridibiliser ne fonctionne pas. Ces formations politiques ont une stratégie très claire (travaillée et partagée au niveau international) concernant leur utilisation des médias, même lorsque ceux-ci sont en principe « hostiles » à leur programme. On ne peut pas en dire autant des médias classiques et de leur stratégie envers ces formations politiques.

Autres éléments pour les luttes antifascistes

Le reportage a été l’occasion de reparler du cordon sanitaire. À ce niveau deux remarques sont nécessaires. Premièrement, le cordon sanitaire médiatique est-il ainsi rompu ? Non car les interviews de membres de l’extrême droite sont encadrées, contextualisées et en partie décryptées. On ne se retrouve donc pas dans le cadre de donner une tribune libre. Par contre il est clair que les médias flamands qui ont sans cesse invité Dries Van Langenhove et d’autres sur leurs plateaux télés et qui en ont fait une star APRÈS le documentaire de la VRT sur S&V ont joué un rôle énorme dans leur légitimation et ont rompu depuis longtemps ce cordon sanitaire médiatique.

Deuxièmement, le cordon sanitaire politique est-il, lui, rompu ? Pas encore ouvertement. Mais on voit combien il peut l’être et que, comme d’habitude, quand l’extrême droite arrive au pouvoir gouvernemental ce n’est pas seule, mais via le fait que des partis de droite s’allient avec elle. Il y a un siècle, comme aujourd’hui. En cela le sondage du jour n’est pas rassurant : il montre le VB devant la NVa en % et les deux partis ensemble à 44,8% des voix (mais une très courte majorité en projection de sièges pour le rôle linguistique néerlandophone au parlement fédéral). Au parlement flamand, pas de majorité. Le fait que ce soit le représentant de l’aile (très) droitière du parti (Egbert Lachaert) qui obtienne la présidence de l’Open VLd (à la suite de Georges-Louis Bouchez pour la présidence du MR) est aussi une mauvaise nouvelle. Notons que Bart Somers (que l’on voit dans le documentaire tenir un discours ferme au parlement flamand) a été lui élu au bureau avec un bon score, ce qui permettra peut-être un équilibrage. Comme en France avec le FN (« Rassemblement National ») et l’écrasement du parti LR (« Les Républicains »), la remontée du VB montre que quand la droite court après l’extrême droite elle ne la combat pas mais lui sert de marche pied. Ici le rôle du MR aurait du être questionné, tout comme celui de l’évolution du discours sur l’immigration de l’ensemble de la classe politique, y compris dite de gauche. En ce sens le reportage conforte l’analyse que faisait le Front Antifasciste lors de la tentative de conférence de Francken à Verviers puis dans le Hainaut (à l’invitation du MR). 

Idem sur la question de l’autodéfense. Le reportage montre bien combien une montée électorale de l’extrême droite s’accompagne d’une libération de la parole raciste qu’elle favorise et dont elle se nourrit dans une dialectique négative. Mais aussi d’une violence directe et physique. En cela la séquence du Voorpost à l’école est très très violente. Sur cet aspect, le reportage montre bien la plus grande difficulté d’être antifasciste en Flandre qu’en Wallonie. Combien le VB utilise la peur pour que la majorité ne s’oppose plus. C’est un élément clé de la montée des fascismes et c’est là qu’un front antifasciste peut et doit être utile : participer à enlever la peur aux gens en montrant qu’ils ne sont pas seuls mais au contraire majoritaires. Le reportage montre des résistances individuelles et/ou médiatiques, qui sont clés, mais cela ne suffit pas pour faire face aux méthodes de l’extrême droite. Si les personnes (voire les organisations) en viennent à avoir peur d’être la cible de leurs campagnes de harcèlement sur Internet ou de leurs intimidations à domicile, sur les lieux de travail et les lieux de vie, alors le risque de « laisser faire » devient énorme et un effet boule de neige peut se mettre en place. Alors même qu’ils restent minoritaires dans ces situations, ils peuvent par leurs méthodes et leur surinvestissement, paralyser des pans entiers de la population. Ce mécanisme n’est jamais irréversible, comme l’ont montré les dernières mobilisations antifascistes en Flandres (par exemple, à l’Université de Gand).

C’est une des préoccupations que nous avons eu dès l’origine au Front Antifasciste de Liège, et qui est en constante mutation et amélioration. C’est pour cela que lors de notre festival antifasciste nous avions invité un camarade néerlandophone à notre débat, que nous avions participé avec Blockbuster à un débat au Festival des libertés, que nous étions allé.e.s à la manifestation contre le NSV à Leuven et contre le meeting du VB avec Salvini à Anvers (le début du reportage montre le caractère très loin d’être anodin de ce meeting), etc. 
À ce niveau le reportage est d’ailleurs faible sur l’antifascisme et sur les perspectives pour contrer le VB. Avec une fin en mode catastrophiste donnant l’impression d’une avancée inéluctable. Or le passage à vide du VB entre ses succès des années 90 et sa remontée d’aujourd’hui mériterait une étude poussée.

Clairement notre option de ne pas laisser l’extrême droite belge francophone se structurer et occuper physiquement l’espace public reste bien valable. Cela passe par des formes plurielles de luttes, et notamment un travail de terrain social qui s’est démultiplié pour les participant.e.s du front pendant la période actuelle et donne tout son sens à l’antifascisme (au sein des Brigades de solidarité populaire, dans les cantines, en soutien à la Santé en lutte ou à la plateforme de Travail social Belge, etc.).