Les résultats des élections communales à Liège en 2024 marquent une nouvelle défaite de l’extrême droite locale, symbolisée cette fois-ci par l’absence de sièges pour la formation Chez Nous. Cette déroute s’inscrit dans une longue histoire où, malgré des tentatives répétées, l’extrême droite n’a jamais réussi à s’imposer durablement dans le paysage politique liégeois. Ce rejet électoral est le fruit d’une vigilance active et d’une mobilisation populaire antifasciste qui s’est construite au fil des décennies, rendant Liège comme étant le principal bastion de lutte en Belgique contre les extrêmes droites.
Une histoire de résistances antifascistes :
Depuis les années 80, l’extrême droite a cherché à s’implanter à Liège, profitant à chaque fois des crises économiques ou des tensions politiques. Le Parti des Forces Nouvelles et le Front National (de Belgique), malgré leurs tentatives lors des élections de 1988 et 1994, n’ont réussi que ponctuellement à obtenir des sièges. À cette époque, l’extrême droite profitait à la fois d’une crise économique généralisée – la crise de 1992-1993 qui fut particulièrement violente -, d’une conjoncture internationale troublée – chute du mur de Berlin – et de l’essor de l’extrême droite française (la montée du Front National) – pour tenter de s’ancrer dans le tissu politique local.
La mobilisation antifasciste de ces années, notamment avec la création du premier Front Antifasciste de Liège, a joué un rôle crucial. Ce front, lancé à l’époque pour faire face à la montée des violences d’extrême droite dans les rues, a constitué une force de résistance face à des partis comme Agir ou le Front National (de Belgique), qui parvint à obtenir 4 sièges au conseil communal. Cette dynamique de mobilisations citoyennes et militantes a empêché ces groupes de s’installer durablement au sein des institutions et dans l’espace public liégeois.
L’échec renouvelé de l’extrême droite :
En 2024, Chez Nous, dernier avatar des formations d’extrême droite, n’a pas réussi à percer malgré ses tentatives. Ce mouvement, né des cendres du Parti Populaire, des listes Desthexe et d’une fraction du groupe néonazi Nation, avait tenté de profiter de l’expérience des échecs passés. Contrairement à ses prédécesseurs, Chez Nous avait adopté une stratégie plus décentralisée, misant sur des figures jeunes et multiples, sur une présence active sur les réseaux sociaux et la constitution de petits groupes militants locaux. Cependant, après leur échec aux élections de juin 2024 et l’implosion du parti quelques semaines plus tard, leur campagne aux élections communales a été un nouvel échec. De dix conseillers communaux d’extrême droite en 2018 en Belgique francophone, il ne reste plus qu’un seul conseiller en 2024 !
Ce résultat s’explique en grande partie par l’action du Front Antifasciste de Liège 2.0. Depuis sa fondation en 2019, il a mené des actions décisives pour empêcher l’extrême droite de se structurer : perturbation de leurs rassemblements, blocages de meetings de fondation ou de leurs universités d’été, campagnes de sensibilisation massive, etc. Cette stratégie offensive, appuyée par d’autres collectifs antifascistes à travers la Wallonie, a réduit à néant les ambitions de Chez Nous. Si les précédents partis comme le PP avaient pu bénéficier d’une couverture médiatique et d’une certaine permissivité, Chez Nous a rencontré un cordon sanitaire plus solide. Le travail de longue haleine du FAL auprès des journalistes et de l’opinion publique a permis de maintenir ce barrage.
L’extrême droite en recul dans une période de succès de ses idées :
Bien que l’extrême droite ait toujours une base électorale à Liège, celle-ci semble en recul constant lorsqu’elle est confrontée à une résistance organisée (rappelons qu’en 1994, elle avait 4 élus. Or, après les mobilisations du premier Front Antifasciste, elle n’eut plus aucun élu en 2000. Le dernier élu d’extrême droite, issu du Front National (de Belgique), sur les bancs communaux liégeois date de 2006-2012). En 2012 et 2018, des partis tels que Vega ou Défi ont capté le dernier siège du conseil communal, généralement à quelques centaines de voix, qui aurait pu revenir à l’extrême droite. À coté de la question électorale, c’est surtout la montée en puissance des mobilisations antifascistes qui a joué un rôle décisif, démontrant qu’une organisation collective et populaire peuvent les tenir en échec – même dans une période et un contexte qui leur sont favorables.
Si l’extrême droite est électoralement faible en 2024, la menace n’a pas pour autant disparu. Une large partie de son électorat s’est déplacé vers des partis de droite plus traditionnels, comme le Mouvement Réformateur ou Les Engagés, qui ont adopté certains discours autoritaires, conservateurs et xénophobes pour capter cette frange. Les sorties racistes du ministre Jeholet (MR), la normalisation des discours transphobes au sein du Centre Jean Gol ou encore la présentation d’une commissaire européenne issue du MR au côté de Fratelli del Italia à l’Europe illustrent cette porosité. Ce phénomène montre que l’extrême droitisation est devenu le principal danger, même en l’absence de victoires électorales franches pour l’extrême droite belge francophone.
L’antifascisme comme réponse :
L’échec de Chez Nous aux élections communales de 2024 est la preuve que l’antifascisme est une lutte nécessaire. En se structurant en réseau, en menant des actions de terrain, et en sensibilisant la société civile, le mouvement antifasciste a montré qu’il pouvait empêcher la progression de l’extrême droite. À Liège, l’antifascisme est désormais un enjeu transversal, mobilisant une pluralité d’acteurs et d’actrices, de militant·e·s en passant par les syndicats et les associations. L’avenir de la lutte antifasciste, à Liège comme ailleurs, dépendra de la capacité à maintenir cette vigilance, tout en continuant à dénoncer et à lutter contre les dynamiques d’extrême droitisation qui traversent les partis de droite traditionnelle. Si l’extrême droite a échoué en 2024, ses idées continuent d’infiltrer le débat public et sont véhiculées par des forces politiques bien plus installées, plus respectables et ayant une bien plus grande écoute. Voilà le paradoxe actuel, paradoxe dont il va falloir se saisir. Car face à cette réalité, l’antifascisme reste plus que jamais d’actualité même si ses moyens doivent être repensés.
Hier comme aujourd’hui, Liège, bastion populaire antifasciste.
Des participant·e·s du FAL