Ce jeudi 4 mai, répondant à l’appel de collectifs et syndicats français, la Coordination Antifasciste de Belgique et le Front Antifasciste de Liège 2.0 ont organisé un rassemblement à Liège, au parc de la Boverie, devant le consulat français, en réponse au premier tour des législatives françaises qui a vu une percée sans précédent du Rassemblement National. Le FAL a ainsi exprimé son soutien aux camarades français·e·s et a appelé à rester mobilisé·e·s après les élections, en s’engageant dans divers collectifs luttant contre le fascisme et pour la solidarité (antifascistes, queers, féministes, syndicats, pour un logement et une santé dignes, etc.) ainsi qu’aux côtés des personnes et initiatives qui seront les premières cibles de l’extrême droite.
Ce rassemblement a été l’occasion de laisser le micro à toutes celles et ceux qui souhaitaient s’exprimer librement. Ainsi, plusieurs personnes ont pu prendre la parole : militant·e·s antifascistes, queers, partisan·e·s de gauche, du milieu artistique, étudiant·e·s, gilets jaunes ou féministes. Toutes ont souligné la menace du second tour et ont plaidé pour s’organiser et se préparer afin de la contrer.
Cette percée fait planer la menace d’une majorité absolue au parlement pour l’extrême droite française. Avec ou sans majorité absolue, il va falloir faire face à une extrême droite plus nombreuse, plus décomplexée, et plus financée par les impôts de la population (+20 millions par an pour le RN). Cette menace, comme l’a rappelé une intervenante, a été largement facilitée par les élu·e·s et les médias de droite et ceux proches de la Macronie qui ont érigé une « extrême gauche » (sic) en épouvantail. Des discours de haine répétés en boucle sur toutes les chaînes à des heures de grande écoute ont permis de créer un narratif qui se devait être une prophétie autoréalisatrice. Ainsi, les médias largement propriétés de quelques milliardaires (Bolloré, Arnault, Drahi, etc.), ne cachant pas leurs obédiences pour les droites libérales conservatrices ou l’extrême droite, ont largement œuvré au succès du RN, à la fois pour des raisons idéologiques mais surtout pour défendre des intérêts de classe. Cependant, comme l’a rappelé la même intervenante, les médias des services publics ne sont pas non plus innocents dans cette montée de la confusion qui a permis la diabolisation de la gauche parallèlement à la réhabilitation de l’extrême droite. Ainsi, nous avons constaté les licenciements et nombreux départs dans la presse publique, parmi celles et ceux qui essayaient de porter une parole critique ou simplement plus « progressiste » ou de « gauche ». Le licenciement de Guillaume Meurice ou la mise au placard de l’émission de Charline Vanhoenacker en sont des exemples parmi d’autres.
Si le barrage électoral au RN est nécessaire dans ce contexte catastrophique construit et provoqué délibérément par Macron, une telle stratégie ne constitue pas pour autant une proposition politique durable ni une alternative à la brutalisation du système néolibéral ou fasciste. Des intervenant·e·s ont rappelé que la situation actuelle est également due à ces gauches soucieuses de plaire aux racistes, vendues au néolibéralisme et qui ont défendu toutes les mesures autoritaires étatiques. En abandonnant les classes populaires, en aggravant les inégalités sociales (loi travail, loi Cazeneuve), en participant au racisme, à la xénophobie et à l’islamophobie ambiantes (législations et dissolutions antimusulmanes, anti-gauche), elles sont également responsables de la situation actuelle. C’est aussi contre elles, ont-ils rappelé, qu’il faut s’organiser afin de bâtir des solidarités concrètes à la base de la société et lutter contre les effets de l’extrême droitisation.
Un camarade français a ensuite pris la parole pour nous informer qu’énormément de personnes, comme lui, ont reçu un courrier officiel leur indiquant qu’elles ne pourraient pas voter car inscrit·e·s « trop tardivement » alors qu’elles s’étaient inscrites selon les mêmes modalités que lors des précédents votes. Dans un article de Médiapart, ce témoignage prend sens : « Le 9 juin n’est pas seulement la date de dissolution de l’assemblée nationale. C’est aussi la date d’un décret, fixant au même jour à minuit la date limite de demande d’inscription pour les législatives, rendant du même coup à la fois autorisée pour quelques heures et quasi impossible toute nouvelle inscription« . Par pure stratégie électoraliste et dérive autoritariste, le macronisme a tenté de réduire au maximum une mobilisation politique, en particulier à gauche, capable de faire un barrage électoral. Suivant la même logique, ce n’est pas un hasard que le ministre de l’Intérieur Darmanin, sympathisant de l’Action française et antisémite notoire, a tenté d’interdire la mobilisation antifasciste à l’appel de l’Action antifasciste Paris Banlieue, exprimant clairement l’opposition de la population dans la rue ce dimanche soir.
Ce fut ensuite le tour d’un gilet jaune de prendre la parole : « Si les gilets jaunes ont craché du sang avec Macron, ils cracheront leurs tripes avec le RN au pouvoir ». Nous ne sommes effectivement pas dupes de la responsabilité écrasante du macronisme dans la montée du fascisme et de l’hypocrisie de ces derniers qui se présentent comme un barrage alors qu’ils ne sont ni plus ni moins que des marchepieds. Alors au pouvoir, le macronisme et ses alliés de « droite classique » n’ont eu de cesse de reprendre les postures, thématiques et discours politiques de l’extrême droite (emploi du terme islamo-gauchiste pour parler des militant·e·s de gauche, loi immigration, loi sécurité globale, lutte contre le « wokisme » dans les facs, usage à tout va du 49.3 pour faire passer leurs réformes, etc.).
Un militant de « La France Insoumise » a également rappelé l’impunité policière durant ces dernières années (meurtre de Nahel, Zineb Redouane, Cédric Chouvia, mutilations durant les Gilets Jaunes, répression des banlieues, des militant·e·s de gauche, etc.). La multiplication des coups de force et l’autonomisation des flics se sont également accélérées et raffermies durant le macronisme. Ainsi a-t-on pu entendre le secrétaire général du syndicat d’extrême droite « Alliance » s’attaquer au contrôle et à la séparation des pouvoirs : « Le problème de la police, c’est la justice ».
Un·e intervenant·e irlandais·e, membre d’un collectif socialiste et queer et organisateur·ice de la « Trans and Intersex Pride » de Dublin, a rappelé l’offensive LGBTQI+phobe que nous constatons dans toute l’Europe. Celle-ci se manifeste tant dans les discours des milieux médiatiques, politiques et financiers que dans les actes, avec une recrudescence des agressions transphobes, homophobes, etc. Un·e autre intervenant·e a renchéri en s’exprimant que « personne n’est vraiment libre tant que nous ne le serons pas toutes et tous », c’est pourquoi il faut lutter contre les tentatives des réactionnaires de diviser la population. Une dernière personne a conclu en rappelant que ce sont les minorités, surtout lorsqu’elles sont à l’intersection de plusieurs oppressions, qui seront les premières cibles de l’extrême droite.
Pour conclure ce retour sur le rassemblement de ce jeudi 4 mai, il nous semble important de rappeler que le fascisme n’apparaît pas spontanément ; il est le résultat d’un processus toujours en cours qui a été favorisé par des années de politiques racistes, antisociales, coloniales, sexistes et LGBTQI+phobes. Faute d’horizon désirable, la destruction des conditions de vie des classes populaires et d’une partie de la classe moyenne a alimenté une portion de la population – de plus en plus grande – qui préfère s’enfoncer dans la petitesse nihiliste et la haine, en enfonçant davantage les plus petits qu’eux, plutôt qu’espérer une quelconque amélioration de leur condition de vie.
Pour reprendre une image, il y a d’une part le poison et d’autre part le pistolet. S’il nous semble clair qu’il existe une ligne de démarcation entre pouvoir libéral-conservateur en voie de fascisation et une extrême droite assumant pleinement ce qu’elle est et son programme de destruction, il nous semble tout aussi clair que nous devons nous y opposer par tous les moyens possibles. Cela passe d’abord par la création de solidarités qui permettront d’appuyer un projet de société réellement désirable et émancipateur pour toutes et tous.
Sources :