Ukraine, les origines de la guerre

Avant propos

Ce 24 février, les troupes russes stationnées depuis plusieurs semaines aux frontières de l’Ukraine ont pénétré sur le territoire de cette dernière dans le but clair de prendre le contrôle par la force du pays, en totalité ou en partie. Si cette invasion marque un tournant dramatique évident dans la guerre qui a lieu en Ukraine, elle n’en constitue cependant pas le début, contrairement à ce que laissent parfois entendre certains médias et élu·es politiques.

Nous avons décidé de tenter un résumé chronologique des événements qui ont mené à cette agression russe, afin que chacun·e puisse avoir en main des éléments de compréhension de base du conflit qui se joue et puisse aborder les discours qui circulent avec les outils critiques nécessaires.

Dans la situation actuelle, dont la complexité est impossible à approcher entièrement, nous devons garder en tête les possibles biais de lecture que nous avons en tant que personnes vivant dans des régions occidentales et actuellement « en paix » (nos États exportent leurs violences militaires mais nous ne les vivons pas nous-mêmes dans les territoires que nous habitons). Nous invitons à s’intéresser aux sources locales proches idéologiquement (comme par exemple la campagne de solidarité « Operation Solidarity » https://linktr.ee/operation.solirity) ainsi qu’à organiser des échanges, des débats, sur ce sujet difficile que l’article ci-dessous vient nourrir modestement.

« No War But Class War » ou (plus lourdement) en français : « La seule guerre que nous voulons est la lutte des classes » – Graffiti à Saint-Pétersbourg, pris dans l’excellent appel du collectif LeftEast.
« No War But Class War » ou (plus lourdement) en français : « La seule guerre que nous voulons est la lutte des classes » – Graffiti à Saint-Pétersbourg, pris dans l’excellent appel du collectif LeftEast.

Aujourd’hui, nous assistons à une résistance nationale énorme – exceptionnelle même, selon des reporters sur place [1] – de la population ukrainienne pour faire face à l’invasion militaire impérialiste russe. L’ampleur de cette résistance populaire n’est pas anecdotique et nous pensons que la lecture historique de l’ingérence de la Russie dans la vie du peuple ukrainien peut nous aider à comprendre les motivations d’une telle mobilisation. Ces rapports impérialistes évoluent en se confrontant notamment à l’impérialisme occidental sur lequel nous devons aussi nous pencher. En outre, celui-ci n’a, lui non-plus, jamais mis les intérêts et la sécurité de la population ukrainienne au centre de ses préoccupations ou de ses choix stratégiques et n’a pas forcément et pas toujours eu les faveurs de celle-ci, pas plus que l’impérialisme russe. [2]

Cette mise en perspective des jeux impérialistes nous a semblé d’autant plus utile à faire au vu des nombreuses positions que nous avons lues suite à cette invasion et qui s’écrasent régulièrement dans le mur du « campisme ». [3] Or, une analyse étape par étape des origines de cette guerre démontre que, comme pour de nombreuses autres, elle s’articule sur différentes échelles où des « élites » locales rivales s’affrontent en s’appuyant de part et d’autres sur des puissances internationales aux intérêts eux-mêmes divergents. Prendre position pour l’un ou l’autre de ces camps impérialistes ne peut donc nous mener qu’à soutenir des oppresseurs de différentes populations. Répétons que nous parlons ici des « camps » impérialistes , qui cherchent tous deux à profiter de la situation, et en aucun cas des camps qui s’affrontent militairement depuis plus de trois semaines en Ukraine où notre soutien va sans ambiguïté à la résistance de la population ukrainienne agressée.

En effet, faire le choix d’une opposition envers tous les impérialismes (en s’opposant de la sorte à toute initiative d’escalade dans le conflit de part et d’autre) n’est pas la même chose que faire le choix d’un discours soi-disant pacifiste ou de positions de principes consistant à traiter sur le même plan tous les types d’agissements des forces en présence, ce qui ne servirait à nouveau qu’à faire le jeu des pouvoirs dominants. Si, à plusieurs occasions, les pays dominants de l’OTAN n’ont eu aucun problème à se servir de l’Alliance atlantique pour recourir à des interventions militaires illégales et meurtrières (en Yougoslavie, en Irak ou en Libye par exemple), et s’ils continuent à défendre leurs intérêts sur place, pour l’instant la Russie est la seule qui recourt à ces moyens inadmissibles. Dès lors, il est évident que la priorité est de stopper l’agression militaire de l’Etat russe et de défendre toutes les populations civiles. Puisqu’il s’agit bien de soutenir toutes les populations civiles, notre soutien à la cause ukrainienne face à cette agression ne saurait se faire sans nous inquiéter également du sort des populations russophones de l’est et du sud du pays, coincées entre, d’une part, l’instrumentalisation de Moscou et, d’autre part, l’armée et les milices ukrainienne.

Au-delà de cette lecture nationale et géopolitique, nous pensons qu’il serait une erreur de croire que celles et ceux qui prennent les armes aujourd’hui contre l’impérialisme russe auraient tout oublié des revendications sociales portées dans tout le pays durant la révolte de Maïdan. Tout comme nous pensons qu’il serait une erreur de croire que le soulèvement dans le Donbass ne serait que le fruit d’un nationalisme grand-russe piloté par le Kremlin. Nous avons également besoin d’une lecture sociale de ces enjeux.

Outre la compréhension du rôle des influences impérialistes, nous soulignons donc aussi les inégalités socio-économiques, les discriminations, les conséquences des jeux politiques locaux subis par les populations, et les revendications ou luttes qui y sont reliées sont centrales. Sur cet aspect, ce texte n’est qu’un tremplin vers des sources et des analyses locales, qui elles seules sont capables de rendre compte des enjeux à l’œuvre. Nous en avons mis quelques liens à la fin de cet article.

Source de l’image : RTBF

Contexte général

Années 1990 et 2000, contexte global : Dissolution de l’URSS en 1991. Les forces occidentales se seraient alors engagées auprès de Gorbatchev à ne pas continuer l’extension de l’OTAN. La Russie est reconnue internationalement comme entité assumant sa continuité étatique. Création de la Communauté des États Indépendants (CEI) comprenant, sur le territoire européen, la Russie, le Bélarus, l’Ukraine, la Moldavie, l’Azerbaïdjan et l’Arménie (ainsi que la Géorgie à partir de 1993). En dehors de ces pays, les gouvernements de toutes les autres anciennes républiques socialistes soviétiques et des anciennes « démocraties populaires » européennes [4] font le choix de se rapprocher de l’Occident. Elles intègrent toutes l’OTAN (Organisation du traité de l’Atlantique nord) [5] en 1999 et en 2004. En 2004, 2007 et 2013, l’Union européenne intègre en son sein onze de ces pays qui étaient auparavant dans le giron de l’URSS.

En 1997, la Géorgie, l’Ukraine, l’Azerbaïdjan et la Moldavie créent le GUAM (depuis lors renommée « Organisation pour la démocratie et le développement »), cette alliance régionale ayant pour but d’unir ses pays-membres pour contrer l’impérialisme politique et militaire russe. Ces quatre pays affirment de concert leur volonté d’intégrer l’OTAN et l’Union européenne.

Dans le courant des années 2000, la CEI en perte de vitesse à cause des fortes distensions politiques entre plusieurs de ses états-membres est, dans les faits, progressivement remplacée par l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) sur le plan politico-militaire et par Communauté économique eurasiatique (CEEA), puis l’Union économique eurasiatique (UEEA) sur le plan économique comme nouveaux bras de l’impérialisme russe (les membres du GUAM ne participant à aucune de ces organisations).

Années 1990 et 2000, en Ukraine : Indépendance vis-à-vis de l’URSS en 1991. Le pays se développe fortement sur le champs économique mais connaît aussi une certaine instabilité politique. Celle-ci se caractérise par l’affrontement pour le pouvoir de deux camps bourgeois. L’un, constitué autour du « Parti des régions » et de la personnalité de Viktor Ianoukovitch. Ce camp compte sur l’appui russe et joue de populisme démagogique avec les populations dont le russophone [6] et majoritairement pauvres dans l’est et le sud du pays. L’autre camp bourgeois est construit autour de Ioulia Tymochenko, de Viktor Iouchtchenko et (dans une moindre mesure dans un premier temps) de l’oligarque [7] Petro Porochenko. Ce deuxième camp compte sur l’appui occidental tout en cherchant le soutien populaire des classes plus aisées, principalement de première langue ukrainienne, dans la région de Kiev et dans l’ouest du pays. Le pouvoir passe régulièrement d’un camp à l’autre de manière assez brutale [8] et l’Occident et la Russie jouent de cette rivalité pour avancer leurs pions quand ils le peuvent.

Août 2008 : Guerre entre la Géorgie et les provinces sécessionnistes d’Ossétie du Sud et d’Abkhazie, toutes deux soutenues par la Russie. Cette guerre peut être vue comme un véritable prélude à la guerre en l’Ukraine, et probablement une base stratégique pour Vladimir Poutine dans l’élaboration de celle-ci, en ce qu’elle repose sur des prémisses très similaires et a débouché sur une issue favorable à la Russie: 1. Un pays qui, au moment de son indépendance de l’URSS, est divisé ethniquement avec des provinces où les minorités ethniques se considèrent culturellement plus proches de la Russie que de la culture nationale. 2. Des tensions persistantes entre le gouvernement central du pays et ces minorités ethniques qui impliquent d’une part la marginalisation de celles-ci par le pouvoir étatique et, d’autre part, des mouvements de contestation populaires dans ces provinces contre le pouvoir central. 3. Une alternance à la tête du pays entre des dirigeants tantôt ouvertement tournés vers l’Occident, tantôt plus proches de Moscou. [9] 4. Une instrumentalisation des mouvements populaires des minorités ethniques par Moscou qui forme et soutien des milices séparatistes et les pousse à l’action lorsque que le gouvernement central penche davantage vers l’Occident.

Cette guerre fait suite à plus d’une décennie de conflit entre la Géorgie et l’Ossétie du Sud. Cette dernière étant de facto indépendante depuis 1992. En 2004, un président pro-occidental, Mikheil Saakachvili, est élu à la tête de la Géorgie. Celui-ci affirme vouloir réunifier le pays et affiche son intention d’intégrer le pays à l’OTAN, ce qui exacerbe les tensions avec les forces séparatistes. Or, ni celles-ci, ni la Russie, ni les alliés occidentaux du gouvernement ne font quoi que ce soit pour tenter d’apaiser ces tensions. Au contraire, en avril 2008, George W. Bush, déclare lors d’un sommet de l’OTAN qu’il souhaite un plan d’adhésion de la Géorgie, mais aussi de l’Ukraine, dans l’Alliance euro-atlantique. Ajoutant que la Russie « n’aura pas de droit de veto » là-dessus. De son côté, la Russie établit des relations diplomatiques officielles avec l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie (ce qui revient presque à reconnaître leur indépendance) et réagit aux propos de Bush en prévenant d’une « crise profonde » avec l’Ukraine si elle est acceptée au sein de l’OTAN.1 Les deux camps préparent la guerre depuis plusieurs années et, suite à l’accumulation de tension, le conflit éclate début août 2008 avec l’État central qui attaque les minorités nationales. Toujours est-il que le 7 août la Géorgie donne l’assaut et fait plus d’une centaine de victime du côté sud-ossète et que, dans la foulée, la Russie décide d’intervenir militairement dans le pays. En quatre jours, les troupes russes parviennent à reprendre le contrôle de l’ensemble des régions sécessionnistes. Le 26 août, considérant avoir atteint tous ses objectifs, la Russie met fin au conflit et reconnaît officiellement l’indépendance de l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie.

A la base de la guerre, la (non-) signature de « l’Accord d’association entre l’Ukraine et l’Union européenne » en 2013

Novembre 2013, contexte global : L’Union européenne (UE) est en pleine phase de négociation de plusieurs traités de libre-échanges avec de nombreux pays. Cela dans un but triple : 1. Accéder à des nouveaux marchés pour l’exportation et les investissements de ses multinationales, 2. Accéder dans certains cas à une main d’œuvre moins chère, 3. Accéder aux matières premières locales à moindre coût. Certains de ces traités, particulièrement énormes mais aussi désavantageux à plusieurs égards pour les citoyen·nes européen·nes (tels que le TTIP/TAFTA et l’AECG/CETA) font beaucoup de bruit. D’autres, tels que ceux négociés par l’UE avec certains des pays périphériques hors-Union retiennent moins l’attention [10]. Cependant, l’un d’eux occupe durant plusieurs jours les titres des journaux : l’accord d’association qui devait normalement être signé entre l’UE et l’Ukraine en novembre 2013. Ce traité de libre-échange très poussé et extrêmement avantageux pour l’UE, vu les ressources minières et agricoles ukrainiennes [11], est perçu par le régime de Poutine comme une menace à son impérialisme économique et politique puisqu’il augure d’un processus de rapprochement supplémentaire entre l’Occident et un de « ses » États-satellites qui lui était resté globalement proche depuis la chute de l’URSS. Le gouvernement de Poutine fait alors pression sur celui de Viktor Ianoukovitch pour qu’il ne signe pas l’accord avec l’UE et lui propose un autre accord, ce qui ne manque bien sûr pas de susciter l’indignation générale dans les sphères eurocrates.

Novembre 2013, en Ukraine : Manifestations pro-européennes sur la place de l’indépendance [12] à Kiev. Elles sont rapidement soutenues par les élites dites « pro-occidentales » et par divers oligarques qui avaient beaucoup à perdre (ou plutôt beaucoup de manques à gagner) dans l’échec de cet accord d’association avec l’UE et/ou dans la prolongation des sanctions économiques russes. Initialement majoritairement composées de quelques milliers d’ukrainophones de la classe moyenne pro-européenne, la violente répression menée par le gouvernement de l’époque conduit à l’amplification et à la diversification massives du mouvement, qui prend des allures de plus en plus insurrectionnelles. Ce mouvement de contestation, de plus en plus disparate, vise désormais le pouvoir en place, son accaparement des richesses du pays et son autoritarisme.

Décembre 2013 à février 2014 : Dès le début du mois de décembre, des manifestations ont lieu dans tout le pays, en ce compris dans l’est russophone et rassemblent parfois jusqu’à plusieurs centaines de milliers de personnes aux profils et aux revendications extrêmement diversifiées (comme c’est le cas dans la plupart des mouvements insurrectionnels d’ampleur et spontanés).

Dans les médias, les puissances internationales interprètent ces manifestations comme cela les arrange le mieux. En occident, elles sont dépeintes comme la simple amplification des manifestations pro-européennes de novembre. Du côté russe, elles seraient l’œuvre de groupes fascistes et néo-nazis téléguidés par les États-Unis et l’UE. S’il est clair que, les forces politiques les mieux organisées dans ces soulèvement étaient la fraction de la bourgeoisie pro-européenne (disposant de moyens importants) et des groupes fascistes/néo-nazis (disposant de forces militantes relativement importantes), la grande diversité du mouvement – rassemblant également des forces progressistes, féministes et anti-impérialistes, mais surtout des personnes ne luttant pas pour un « camp » mais pour leur autonomie et la justice sociale- fut invisibilisée.

Février 2014 : Les manifestations continuent et gagnent en intensité jusqu’à la fin du mois de février et sont continuellement réprimées, faisant plus d’une centaine de mort·es, plus ou moins 2.000 blessé·es et des centaines de prisonnièr·es. Les forces impérialistes de toutes parts continuent à manier le bâton et la carotte : Le pays se retrouve dans une crise économique que les grèves massives viennent approfondir et la Russie, dans le but d’acheter le maintient de l’allégeance du gouvernement de Kiev, qui est de plus en plus sous pression, lui propose près de 11 milliards d’euros de reprise de sa dette publique nationale et diminue d’un tiers le prix du gaz qu’elle lui livre.

Les 21, 22 et 23 février, sous la pression populaire intense, un gouvernement d’union nationale est décrété par le Parlement qui démet également le président Ianoukovitch de ses fonctions. Le président du Parlement Oleksandr Tourtchynov, soutenu par l’Occident, est nommé Président de la République par intérim. C’est ce qui est appelé la Révolution de février. Ce gouvernement intérimaire est également appuyé par des forces ukrainiennes d’extrême droite, qui ont été très actives dans le soulèvement. Elles auront une influence sur le fait que l’État mettra en place des mesures nationalistes et russophobes dès 2014 et durant les années suivantes (contre les populations russophones de l’Est, mais aussi contre les musulmans Tatars de Crimée). Le jour même de la nomination du président intérimaire, le Parlement ukrainien vote une loi décrétant l’abrogation des langues régionales dont le russe et d’autres mesures russophobes. Des manifestations ont lieu les jours suivants en Crimée et dans la région du Donbass, la région russophone à l’est du pays (à la population pauvre et aux sols très riches en minerai), pour s’opposer à ces mesures. Cette politique participera à renforcer les mouvements de révolte russophones décrits ci-dessous, mais aussi la rhétorique de Poutine selon laquelle l’Ukraine aurait été largement « nazifiée ».

L’UKRAINE UN RÉGIME NAZI ?

L’extrême droite est minoritaire mais très active en Ukraine. Elle est effectivement un grave problème et un danger pour la population, mais il est totalement faux de soutenir que c’est pour cela que le régime de Poutine a attaqué l’Ukraine. Oui, il y a eu un soulèvement populaire hétérogène en 2014, durant lequel certaines extrêmes droites ont joué un rôle important, suivi d’élections, mais non, il n’y a pas eu de coup d’État fasciste.

Plusieurs groupes néo-nazis ont gagné en popularité et en pouvoir (militaire, entre autres) depuis le soulèvement de 2014. Ils ont bénéficié d’une grande impunité dans leurs actes car ils compensaient partiellement le rôle d’une armée ukrainienne défaillante. Le plus connu de ces groupes militants est le bataillon Azov (devenu régiment, entre 3 500 et 5 000 membres estimés aujourd’hui contre 800 en 2014), qui fait désormais officiellement partie de la Garde Nationale ukrainienne. Depuis début 2022, il propose des entraînements à la population et en profite pour recruter. Au-delà de ces groupes néo-nazis et des autres forces politiques d’extrême-droite du pays, l’État central applique des mesures discriminatoires contre les minorités nationales – qui ont aussi leurs propres extrêmes droites.

Toutefois, nous sommes loin d’un pays administré par un régime nazi dont le but principal serait l’éradication des ennemis politiques et des populations considérées comme surnuméraires ou parasites.

Au-delà du fait symbolique que le président Zelensky soit juif, les dernières élections de 2019, qui ont amené son parti au pouvoir, ont vu les partis d’extrême droite qui s’étaient rassemblés en une liste commune (Svoboda / Liberté avec Pravï Sektor / Secteur Droit) n’atteindre qu’un peu plus de 2% des voix.

En réalité, c’est plutôt l’agression russe qui amplifie le danger des extrêmes droites actives dans le pays, en contribuant à les armer et à les renforcer en nombre et en expérience. Rappelons que c’est ce même régime russe qui utilise, comme les États-Unis, des mercenaires néo-nazis (dont le fameux groupe Wagner [13]) et soutient diverses extrêmes droites à travers le monde (comme le Rassemblement National, la Ligue de Salvini, le mouvement Qanon, etc.). [14] Enfin, rappelons aussi que la Russie est un des pays où les antifascistes sont le plus réprimé·es, poussé·es à l’exil et parfois tué·es.

De nombreux néo-nazis européens ou américains sont allés « s’entrainer » en Ukraine, d’un côté comme de l’autre, pour la « guerre raciale » qu’ils veulent provoquer dans leurs propres pays. Du côté russe, le Russian Imperial Movement et le Russian National Unity sont deux groupes néo-nazis qui sont allés se battre dans l’Est de l’Ukraine. Ce conflit divise les extrêmes droites à travers le monde.

Pour plus d’informations, voir ce travail très bien documenté de Atlanta Antifascists: « War in Ukraine… Where are the Fascists ? ». En vidéo ici et en version pdf ici.

Début de la guerre et avancées des intérêts impérialistes

A partir du 28 février 2014, réagissant à l’éviction du président Ianoukovitch soutenu par le régime de Poutine et au risque de voir le pays passer pour de bon dans le camp occidental, la Russie prend le contrôle militaire et politique de la Crimée. Cela lui permet de s’assurer de garder dans son giron le port de Sebastopol, sa principale base navale en Mer noire. Le gouvernement russe justifie cette annexion par le fait qu’il considère comme illégitime le nouveau gouvernement ukrainien et qu’il est de son devoir de protéger les populations russophones d’Ukraine. 

Dans le même temps, et sur base des mêmes justifications, est lancé l’appui russe aux mobilisations des russophones dans le Donbass, qui tournent à l’insurrection. Comme décrit plus haut, cette stratégie du conflit larvé, basé sur des aspirations populaires légitimes [15], est sensiblement la même que celle que la Russie développe en Géorgie (voir également en Moldavie). Le but est notamment d’empêcher toute possibilité d’adhésion de ces pays à l’OTAN, celui-ci se refusant d’intégrer en son sein des pays n’ayant pas le plein contrôle sur la totalité de leur territoire.

Les 7 et 27 avril 2014, sont auto-proclamées la République populaire de Donetsk et la République populaire de Louhansk [16]. Ces sécessions s’inscrivent dans le projet de « Nouvelle-Russie » (« Novorossija ») porté par les idéologues sécessionnistes de l’Est qui veulent voir advenir un État indépendant (bien que supposément vassal de la Russie) et de culture russe. Celui-ci étant sensé rassembler tous les territoires de l’est et du Sud de l’Ukraine (excepté la Crimée, qu’ils disent appartenir de droit à la Russie). [16]

Le projet de « Nouvelle-Russie » (incluant la Transnistrie moldave) revendiquée par les séparatistes du Donbass regroupés au sein du « Parti de la Nouvelle Russie ». En vert foncé, les oblasts de Donetsk et Louhansk. Source de l’image : Wikipédia.

Côté occidental, la priorité est mise sur la consolidation de l’ancrage de l’Ukraine dans le sillon européen et, surtout, à la logique d’expansion des marchés capitalistes occidentaux qui constitue le leitmotiv permanent de l’impérialisme occidental. En témoignent, d’une part, le fait que l’économie du pays est mise sous perfusion des prêts du FMI (Fonds monétaire international), ce qui contraint l’Ukraine à mener une politique d’austérité, de privatisation et de libéralisation des normes du travail à l’avantage des détenteurs locaux et internationaux de capitaux, dont les banques et grandes entreprises occidentales. Et d’autre part, la signature, le 21 mars 2014, par le gouvernement intérimaire (!) du volet politique de l’Accord d’association UE-Ukraine qui avait été abandonné par le gouvernement précédent. Le volet économique de cet accord, est signé le 27 juin [18] par le nouveau président Porochenko, milliardaire issu du camp promu par l’Occident et élu aux élections législatives anticipées du 25 mai. Cette signature de la totalité du traité de libre-échange par l’Ukraine est organisée en même temps que la signature de traités similaires avec la Géorgie et la Moldavie. Cela montre clairement que l’intention européenne est également de poursuivre sa politique d’hégémonie capitaliste quitte à envenimer encore le conflit dans la région, puisqu’elle se fait aux dépens évidents des intérêts impérialistes et capitalistes de la Russie (qu’il est important de ne pas confondre avec les prétendus « intérêts de sécurité » de ce pays qui est tout de même la première puissance nucléaire mondiale), et quitte à mettre encore plus en danger les populations locales. En effet, la logique des puissances européennes d’expansion de leurs marchés de capitaux repose en premier lieu sur les politiques d’intégration à l’UE. Elle est donc, par essence, à la fois économique et politique. Or, si la concurrence économique avec l’ensemble des puissances capitalistes reste tout à fait possible dans le cadre de l’UE (en témoigne la présence massive de capitaux chinois par exemple), ce processus implique par contre une forte intégration politique qui freine, de fait, une grande partie des prétentions impérialistes des autres puissances sur ce champs là.

Le conflit continue de s’aggraver durant toute l’année 2014. Les Occidentaux arment et forment l’armée ukrainienne (et, ce faisant, les milices constituées durant le soulèvement qui y sont désormais attachées) et les Russes arment et forment les milices russophones du Donbass. Le collectif militant d’investigation Forensic Architecture a également démontré, par un travail extrêmement sourcé, que la Russie prend elle-même part au conflit dans l’est de l’Ukraine depuis au moins la bataille de Ilovaisk, à la fin août 2014, en y envoyant des soldats et des véhicules blindés dont plusieurs dizaines de tanks.

En décembre 2014, le conflit a déjà fait plusieurs milliers de mort·es et plus d’un demi-million de demandeurs/euses d’asile issu·es des deux camps et dont nos gouvernements et nos médias font peu de cas à l’époque.

Les mirages de l’apaisement

Février 2015 : Après une première tentative infructueuse quelques mois plus tôt, un deuxième accord (« Minsk II ») est signé entre l’Ukraine, la Russie et les républiques populaires auto-proclamées de Donetsk et Louhansk, et en présence de François Hollande et Angela Merkel. Les deux points essentiels de cet accord sont la démilitarisation des séparatistes du Donbass et la fédéralisation de l’État ukrainien. Il permet une diminution en intensité des combats qui continuent tout de même par endroits.

Mai 2015 : Le ministre des affaires étrangères de la République populaire de Donetsk déclare que le projet de Nouvelle-Russie est gelé. La cause principale est le retrait du soutien de Moscou à ce projet qui décide, depuis les accord de Minsk II, de plaider pour une autonomie des républiques populaires au sein d’une Ukraine fédéralisée. Plusieurs médias parlent alors d’un deal entre les États-Unis et la Russie pour que les premiers ferment les yeux sur l’annexion de la Crimée en échange du maintien des régions du Donbass au sein de l’État ukrainien. Ces négociations excluant des discussions tou·tes les représentant·es des parties concernées, nous sommes donc loin d’un processus d’autodétermination des peuples…

Avril 2019 : Nouvelles élections présidentielles en Ukraine. Le scrutin ne peut évidemment pas avoir lieu dans les parties des oblats de Donetsk et de Louhansk gouvernées par les forces séparatistes, ni en Crimée qui est de facto administré par la Russie. Cela réduit fortement la proportion d’ukrainien·nes russophones prenant part aux élections et donc les chances de voir un·e candidat·e défendant leurs intérêts arriver au pouvoir. Le président sortant Porochenko paye logiquement le prix électoral de la précarisation générée par les politiques économiques issues des normes dictées par le FMI. Son impopularité est également renforcée par son implication dans des affaires de corruption. Il n’est pas le seul à payer pour sa gestion du pays puisque l’ensemble des représentants habituels des élites bourgeoises locales, en ce compris Ioulia Tymochenko [19], perdent lourdement ces élections. Le nouveau président, Volodymyr Zelensky, est élu avec plus de 73 % des voix au deuxième tour face à Porochenko.

Zelensky est une figure médiatique populaire, à la fois membre des cercles bourgeois ukrainophones et lui-même russophone. Il a été élu en s’appuyant sur un programme prétendument « anti-système » basé sur la dénonciation de la corruption des élites et le maintien du flou sur ses liens avec les puissances étrangères et les sources de financements de sa campagne électorale. En réalité, son parti est alors une coquille vide et son ascension repose en grande partie sur les financements et la couverture médiatique que lui assurait l’oligarque Ihor Kolomoïsky – qui finance également les milices pro-européennes Azov (néo-nazie) et Aïdan, toutes deux coupables de crimes de guerres dans l’Est du pays. Toutefois, cet appui médiatique et son image atypique dans le pays lui ont permis d’entretenir une forte dynamique électorale. 

Fin 2019 : L’accession au pouvoir de ce russophone non-encarté aux camps traditionnels change partiellement la vision de nombreux russophones ukrainiens et de russes sur le gouvernement de Kiev et rendent possibles des échanges diplomatiques entre Zelensky et Poutine. Ceux-ci conduisent à une baisse des tensions entre les deux pays et à des échanges de prisionnièr·es. Cependant, les accords de Minsk II, signés en 2015, ne sont toujours pas mis en place, et le cessez-le-feu décrété lors de ces accords est régulièrement bafouée d’un côté et comme de l’autre. 

Décembre 2019 : Alors qu’il est à la toute fin de son mandat après les élections de novembre, le Congrès des États-Unis vote des sanctions à l’égard des entreprises qui construisent le gazoduc Nord Stream 2 et empêche ainsi sa mise en œuvre alors que le chantier est tout proche d’être terminé. Ce projet de gazoduc vise à doubler la quantité de gaz russe acheminé directement en l’Allemagne via la mer baltique (alors que les principaux autres gazoducs passent par l’Ukraine et le Bélarus). Sachant que les pays européens importent 35 % de leur gaz depuis la Russie, et que l’exploitation du gaz du schiste américain est en pleine expansion, il est clair que l’impérialisme états-uniens cherche alors un levier pour prendre la part de l’impérialisme russe sur les marchés européens de l’énergie.


Source de l’image : Le Parisien

A partir de début 2020 : Alors que le conflit s’était relativement refroidi depuis 2015 (il continue tout de même à faire plusieurs centaines de mort·es par an), le manque d’avancées dans l’application du traité de Minsk, la délivrance grandissante de documents d’identités russes aux habitant·es des territoires sécessionnistes [20] qui font craindre au gouvernement ukrainien une annexion prochaine, la mise à l’arrêt soudaine du projet Nord Stream 2 et une multiplication des violations du cessez-le-feu suscitent une nouvelle flambée du conflit. Des exercices militaires massifs (mais temporaires à ce moment là) sont organisés tant par les troupes russes aux frontières de l’Ukraine que par celles de l’OTAN dans les pays-membres frontaliers de la Russie [21]. Zelensky décide alors, à contre-courant du processus d’apaisement qu’il semblait avoir lancé lors des premiers mois de son mandat, de défendre à court terme l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN et à l’Union européenne.

A partir de 27 juillet 2020 : Après la reprise brutale des hostilités début d’année, les parties arrivent à mettre en place un nouveau cessez-le-feu. Il s’agira de la plus longue mise en arrêt du conflit depuis 2014.

Août 2020 : Élections présidentielle au Bélarus. La plupart des candidat·es concurrent·es du président Loukachenko, dictateur en place depuis 1994 sont arrêté·es ou empêchées par d’autres moyens de participer au scrutin. Ces manipulations flagrantes déclenches d’énormes manifestations qui durent jusqu’à début 2021 et menacent réellement de faire tomber le régime en place. Poutine y voit à la fois une menace que la contestation s’étende à son encontre en Russie et un moyen de pression sur Loukachenko qui avait jusque là maintenu une politique tentant d’augmenter l’autonomie du Bélarus vis-à-vis de Moscou.1 Les manifestations sont violemment réprimées et Poutine soutient malgré tout le maintient du président bélarusse. Depuis lors, le Bélarus et la Russie ont engagé une politique de rapprochement économique, politique et également militaire et Loukachenko semble de plus en plus faire figure de vassal de Poutine. Celui-ci engrange ainsi une nouvelle victoire pour l’impérialisme russe après celle de 2008 en Géorgie.

20 janvier 2021 : Prise de fonction du nouveau président américain Joseph Biden, qui a été élu notamment sur la promesse de ne plus avoir de soldats américains directement impliqués dans des conflits à l’étranger. Préoccupés à la fois par cette exigence et par leurs enjeux commerciaux, les États-Unis post-Trump semblent privilégier un retour d’une part à la pression diplomatique, économique et d’opinion publique, et d’autre part à la stratégie de guerre par procuration – c’est-à-dire faire se battre des populations d’autres pays plutôt que des soldats états-unien·nes. Ainsi, dès son investiture, Biden promet d’être plus « sévère » que son prédécesseur avec la Russie.

Mars-avril 2021 : Reprises des combats dans le Donbass. Au niveau international, la Russie et les États-Unis durcissent encore leurs positions. Poutine réalise des déplacements militaires de plusieurs dizaines de milliers de soldats depuis tout le pays vers la frontière russo-ukrainienne ainsi qu’en Crimée et réalise des exercices jusqu’à la fin avril avant de les replier. Biden, quant à lui, lance une nouvelle salves de sanctions économiques et diplomatiques à l’égard du pouvoir russe. Il n’est toutefois pas clair si ces agissement des deux grandes puissances sont directement liés en réponse l’un à l’autre ou s’ils étaient prévus à l’avance.

Mai 2021 : Biden revoit les sanctions américaines à l’égard du projet Nord Stream 2 en levant toutes les sanctions pouvant atteindre les entreprises européennes et en imposant de nouvelles à l’égard d’entreprises russes [22]. Il compte ainsi raffermir sa proximité avec les européens en redonnant une possibilité à l’Allemagne de mener à terme ce projet de gazoduc très important en termes énergétiques pour ce pays, tout en continuant à retarder autant que possible sa mise en oeuvre effective [23]. De plus, tout en répétant des appels à ce que l’Ukraine rejoigne l’OTAN, Biden maintient le jeu diplomatique en gardant un certain flou sur la concrétisation de cette demande.

Décembre 2021 : Les renseignements américains estiment à plus de 175.000 le nombre de militaires russes qui se sont massés à la frontière avec l’Ukraine, en Crimée et au Bélarus depuis quelques semaines. Poutine nie les accusations de préparation d’invasion et dit que la Russie « a le droit d’assurer sa sécurité à moyen comme à long terme » et soutient que l’adhésion redoutée de l’Ukraine à l’OTAN est une menace en ce sens. Tout en prévenant que la Russie subirait des « conséquences économiques comme personne n’en a jamais vu » en cas d’invasion de l’Ukraine, Biden se dit disposé à discuter avec la Russie des reproches qu’elle formule à l’égard de l’OTAN.

De plus, la Russie accuse en retour l’Ukraine de déployer son armée dans l’Est du pays pour affronter les troupes séparatistes. Elle l’accuse également de menacer l’intégrité du territoire russe et étaye ces affirmations par des preuves manifestement fabriquées de toutes pièces. Elle continue toutefois à nier l’éventualité d’une invasion.

7 janvier 2022 : Intervention militaire de l’OTSC (dont la logistique est entièrement financée par la Russie et dont les troupes sont composées à 80% de soldats russes) au Kazakhstan suite à une vague d’insurrection populaire. Celle-ci mate brutalement la rébellion et assoit l’influence de Moscou sur le pouvoir local. Cette opération est un nouveau succès relativement facile pour l’impérialisme russe dans son voisinage proche. On peut donc imaginer que cette victoire a encore participé à galvaniser Poutine pour son passage à l’acte en Ukraine.

21 février 2022 : La Douma, le parlement russe, vote la reconnaissance unilatérale des républiques séparatistes de Donetsk et de Louhansk. Depuis, seul le seul autre gouvernement à les avoir reconnu est le régime syrien (toujours dépendant du soutien russe dans le cadre du conflit qui l’occupe).

23 février 2022 : Exactement huit ans, jour pour jour, après la mise en place du gouvernement intérimaire remplaçant le gouvernement pro-russe de Ianoukovitch, Poutine annonce l’invasion de l’Ukraine à la télévision. Cette invasion démarre la nuit-même depuis l’Est du pays mais aussi depuis la Crimée et le Bélarus. Entre 2014 et 2020, la guerre a causé plus de 13 000 mort·es selon l’ONU (3 350 civils, 4 100 membres des forces ukrainiennes et 5 650 membres de groupes armés pro-russes) ainsi que le déplacement de près de 1,5 millions de personnes. Depuis l’agression russe débutée ce 23 février, plus ou moins 3 millions de personnes ont fui le pays.

Des participant·es du FAL et d’autres mouvements liégeois


Cet article se voulant plus informatif qu’analytique et se limitant volontairement à décrire les événement qui précèdent l’agression russe, il nous paraissait tout de même utile de rappeler certains enjeux incontournables qui sont intimement liés à ces événements.

D’abord, le racisme flagrant avec lequel nos États, et une partie de nos populations, traitent les différent·es réfugié·es de guerre. Bien sûr, il faut se réjouir des efforts déployés pour loger plutôt qu’enfermer et expulser, soigner plutôt que blesser ou tuer, donner des papiers plutôt que dissuader, transporter gratuitement plutôt que chasser et harceler, les demandeuses/eurs d’asile ukrainien·nes qui arrivent par milliers ces derniers jours. En bref, faire asile… 

Mais rappelons la manière dont les autorités traitent les autres réfugié·es de guerre : de l’Irak à la Syrie en passant par l’Afghanistan. Plus ou moins 10 millions d’entre elles et eux vivent actuellement des traitements dégradants et inhumains dans des camps à travers l’Europe, des camps financés notamment par nos impôts. La manière dont ces mêmes autorités ont mis des bâtons dans les roues de la plateforme citoyenne d’hébergement et lui demande aujourd’hui conseil… Il ne faudra pas l’oublier.

Cette situation a permis de démontrer qu’il était possible et humainement nécessaire d’avoir une autre politique de l’accueil, tout comme elle a montré qu’il était tout à fait possible de geler les avoirs des plus grandes fortunes à travers le monde.

Ensuite, dans ce monde où les forces impérialistes se redessinent et se crispent pour s’accaparer les ressources (entre autres énergétiques) qui se raréfient, le deuxième enjeu concerne le nombre de plus en plus important de populations qui vont se retrouver prises entre ces feux si on laisse faire. Avec cette guerre, les gouvernements sont déjà en train d’abandonner la nécessaire sortie du nucléaire et ils sont en train de renouer avec la course aux dépenses d’armement et se préoccupent moins que jamais de mettre en œuvre leurs fausses promesses d’actions coordonnées pour diminuer les désastres écologiques.

C’est plus clair que jamais : il nous faut nous libérer du capitalisme, partout, ou il va nous tuer. Pour ce faire, soutenir les populations locales en lutte à travers le monde (qu’il s’agisse des populations ukrainiennes bombardées ou des populations russes réprimées ou des autres), s’intéresser aux mouvements locaux et à leurs revendications concrètes (diversifiées) est la meilleure manière de défendre l’autodétermination des peuples et l’internationalisme. Dans leur résistance quotidienne depuis trois semaines, parfois plus, les Ukrainien·nes expérimentent l’auto-organisation, une graine qui peut par la suite germer et permettre de se battre non plus pour un État répressif ou un gouvernement corrompu mais pour la liberté et pour ce qu’ils et elles considèrent essentiel.


Sources utiles et documents pour aller plus loin


Notes

[1] Voir notamment cette vidéo du reporter de guerre Eric Bouvet ; https://fb.watch/bM9GLb1oQO/ Nous recommandons vivement de suivre l’ensemble de son travail en Ukraine, publié sous forme de podcast photographique chaque jour sur sa page facebook.

[2] En témoignent les sondages d’opinions concernant la potentielle adhésion de l’Ukraine à l’OTAN qui avaient montré un rejet net de celle-ci par les Ukrainien·nes, et ce jusqu’à ce que l’invasion russe de la Crimée transforme logiquement l‘option de l’alliance atlantique en un moindre mal face à l’imminence de la guerre provoquée par Moscou. Voir : Sociological poll – How would you vote if the referendum on Ukraine`s NATO accession was held the following Sunday? (recurrent, 2002-2009), Centre Razoumkov (page archivée). Concernant la Russie, le référendum de 1991 sur l’indépendance de l’Ukraine vis-à-vis de la Russie est également un bon indicateur puisque toutes les régions de l’Ukraine sans exception on voté pour l’indépendance (même la Crimée à 56 %, l’Oblast de Donetsk à 87 % et l’Oblast de Louhansk à 86 % qui sont aujourd’hui les principales régions dites « pro-russes »). Cela ne signifie bien sûr pas que ces positions n’évoluent pas dans le temps et selon l’évolution du contexte, mais c’est un indicateur important.

[3] Le campisme consiste à opposer un ennemi principal à un ennemi secondaire quitte à fermer les yeux sur les crimes de l’ennemi secondaire. De la sorte, on choisit de fait un bloc impérialiste contre l’autre. Dans ce cas-ci, comme le rappelle Catherine Samary du NPA, les impérialismes russe et occidentaux ont une capacité d’intervention différente (celle de la Russie est moins grande, même si elle grandit), aucun des deux n’est progressiste quant à ses propres populations ou quant aux régions qu’ils dominent, et pour l’Ukraine l’impérialisme russe est une menace plus directe. Choisir un moindre impérialisme sur un autre est une énorme erreur si l’on veut défendre les intérêts des populations. L’internationalisme entre les peuples opprimés (issu notamment de la gauche tiers-mondiste) est la posture éthique et politique qui permet d’éviter cette erreur du campisme. Lire : Le « campisme ». Une vision idéologique des questions internationales, Catherine Samary, Anti-K, 19 août 2017.

[4] République tchèque, Slovaquie, Hongrie, Pologne, Roumanie, Albanie, Bulgarie, sans oublier l’ex-Allemagne de l’est. Pour ce qui est des pays issus de l’éclatement de la Yougoslavie (qui était par ailleurs en rupture avec l’URSS après 1948), ils méritent une attention particulière qui n’est pas sans lien avec les jeux impérialistes que nous décrivons ici mais qui allongeraient considérablement cette analyse.

[5] Alliance militaire créée en 1949, soit au début de la guerre froide, dont le siège est à Bruxelles et qui compte 30 pays membres.

[6] Nous utiliserons plusieurs fois « russophone » comme raccourci mais il serait plus exacte de parler d’ukrainiennes ayant le russe comme première langue puisque une large majorité de la population est bilingue ukrainien et russe.

[7] La Russie n’ayant pas le monopole des « oligarques » (même si ce terme désignait sous Eltsine un nombre réduit de personnes en particulier).

[8] Nous ne mentionnons volontairement pas la dite « Révolution orange » qui n’est selon nous qu’un épisode de changement de pouvoir qui a certes son importance mais pas nécessairement plus que d’autres qui ont juste été moins mis en avant par les cercles de pouvoir occidentaux.

[9] Bien que les gouvernements géorgiens n’aient jamais réellement été « proches » de Moscou – contrairement à certains gouvernements ukrainiens.

[10] Voir les pays repris dans la catégorie « Preferential trade agreement in place » (Accord commercial préférentiel en vigueur) ou « in the process of modernisation » (en cours de modernisation) sur la carte ci-dessous.

[11] En minerai tels que l’uranium, les métaux rares mais aussi le gaz de schiste et le charbon. Le pays est aussi l’un des plus grand exportateur mondiaux de céréales. Il est aussi un très grand producteur de produits industriels finis (produits chimiques, métallurgiques, armes, technologies nucléaires, etc.).

[12]Maïdan Nézalejnosti” en ukrainien, d’où le nom “Euromaïdan” donné à ces manifestations.

[13] Le groupe Wagner est entre autres responsable de crimes de guerre en Syrie et en Afrique. Ses liens avec l’État russe sont comparables aux liens des mercenaires Blackwater (qui ont commis des crimes de guerre en Ikra, entre autres) avec les États-Unis. Voir notamment : Comment le groupe Wagner occupe les arrière-cuisines du Kremlin, François Bonnet, Médiapart, 15 mars 2021.

[14] Au-delà du soutien financier, de nombreuses extrêmes droites européennes et américaines voient dans le régime russe un modèle qui défend les valeurs traditionnelles, la famille, la patrie, la religion, qui s’oppose à l’homosexualité, qui est un État fort et autoritaire envers les forces d’opposition, qui se veut une grande puissance, viriliste, etc.

[15] A savoir les désirs d’autodétermination de certaines populations russophones du Donbass fondés sur les oppressions et les discriminations qu’elles subissent de la part du pouvoir étatique nationaliste et du patronat ukrainien.

[16] Seule la Russie a reconnu les documents issus de l’administration de ces deux pseudo-républiques et, jusqu’à la reconnaissance russe du 21 février 2022.

[17] La Nouvelle-Russie originelle était une région de l’Empire russe regroupant ces territoires qui avaient été conquis sur l’Empire ottoman à la fin du 18ème siècle. Pour une intro sur le sujet, voir : Nouvelle-Russie (projet d’État) sur Wikipedia.

[18] Exactement trois mois après la dénonciation par l’Assemblée générale de l’ONU de l’annexion de la Crimée par la Russie.

[19] Longtemps figure de proue du camp occidental, présentée comme une figure d’opposition populaire malgré sa carrière de femme d’affaires.

[20] Plus de 650.000 « passeports internes » (document obligatoire permettant aux citoyen·nes russes de voyager au sein des frontières du pays) ont été distribués entre 2019 et début 2021. Voir : Kremlin defends Russian military buildup on Ukraine border, The Guardian, 9 avril 2021.

[21] Notamment en Géorgie, en Lituanie, en Lettonie et en Pologne. Voir: Exercices militaires : l’armée américaine débarque en Europe, Le Parisien, 21 février 2020.

[22] Comme en témoigne l’organisation à Minsk des pourparlers internationaux concernant le conflit ukrainien en 2014 et 2015.

[23] Une stratégie qui se révéla payante pour les Etats-Unis puisque, en novembre-décembre 2021, alors que le chantier était enfin terminé et le transport de gaz prêt à être mis en route, la flambée des tensions, puis l’invasion russe conduisirent l’Allemagne à y renoncer définitivement sans qu’un litre de gaz n’ait eu le temps d’y transiter.